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parenté proche avec la comtesse de Maurepas, dont nous connaissons l’influence sur l’âme de son époux. Une tendre intimité, dont ses lettres font foi[1], unissait la comtesse à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon. Elle ne perdait nulle occasion de servir secrètement la cause de sa famille, de mettre le Mentor en garde contre les préventions de Marie-Antoinette. « J’ai fait lire vos lettres à M. de Maurepas, mande-t-elle à la duchesse ; il prend aussi vivement que moi tout ce qui peut intéresser M. d’Aiguillon… Au nom de Dieu, qu’il (le duc) se calme ! Tous les honnêtes gens lui rendront justice. » Un peu plus tard : « Je suis pénétrée de douleur que vous croyiez que M. de Maurepas ne met pas toute la vivacité qu’il doit aux affaires qui vous intéressent. M. d’Aiguillon doit savoir mieux que personne qu’on ne fait pas parler les rois comme on veut. Nous serons toujours occupés de saisir le moment qui pourra vous être utile. » Cette connivence, cette alliance clandestine de Mme de Maurepas avec le parti d’Aiguillon n’avaient pas échappé à Mercy-Argenteau, non plus que le danger qui en pouvait résulter pour la Reine, comme en témoigne ce passage d’une de ses lettres à l’Impératrice[2] : « L’ex-ministre en question (d’Aiguillon) a pris tout l’ascendant qu’il a voulu sur l’esprit de sa tante, et cette femme, qui dirige son mari, n’a cessé d’exciter sa jalousie du crédit de la Reine, d’où sont provenues les manœuvres cachées qui ont paru depuis quelque temps. »

Malgré le dépit de la Reine, sa frivole insouciance l’eût probablement détournée de l’éclat d’une rupture publique, sans la constante excitation d’un parti actif, audacieux, qui poussait à une guerre ouverte. Dès les premiers jours de janvier 1775, Choiseul, quittant son domaine de Chanteloup, s’était installé à Paris pour y passer l’hiver. En son hôtel de la rue Richelieu, rouvert comme aux beaux jours d’antan, il avait aussitôt repris ses anciennes traditions d’hospitalité magnifique. Il fut, toute cette saison, l’homme en vue, le héros du jour : « Tous les soupers à Paris, dit La Harpe[3], depuis son retour, sont des fêtes en son honneur. » Les années, les malheurs n’avaient rien enlevé à son charme, rien rabattu de son orgueil. C’était toujours cette physionomie spirituelle, ce « nez au vent, » comme en quête

  1. Lettres de l’année 1775. — Archives du marquis de Chabrillan.
  2. Lettre du 20 avril 1775, passim.
  3. Correspondance littéraire, janvier 1775.