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sur sa jeunesse, elle fait parade de son indépendance. « Pour mes tantes, écrit-elle, on ne peut plus dire qu’elles me conduisent ! » Et elle ne perd nulle occasion de réprimer leurs « prétentions » et leurs « petites jactances. »

Après de multiples échecs, Mesdames paraissent enfin renoncer à la lutte. Elles se terrent à Bellevue, ne se montrent plus à Versailles que les jours de parade, affectent un grand détachement de toutes les affaires de l’Etat. Mais on imagine quelles rancœurs fermentent dans leurs âmes ulcérées. Tout, chez elles comme dans leurs entours, proteste contre les usages introduits à Versailles, censure les mœurs et les « façons nouvelles. » Plus Marie-Antoinette est gaie, frivole, facile dans ses rapports avec ses familiers, audacieuse dans ses amusemens, inconséquente dans ses propos, plus ses trois tantes sont fières, raides, empesées, austères, plus elles conservent « le grand ton des belles années du règne de Louis XV[1]. » Bientôt ce blâme discret ne suffit plus à leurs ressentimens. Ce sont d’aigres critiques, des sarcasmes amers sur les toilettes, les ajustemens de la Cour, l’excentricité de son luxe. Tout est prétexte au blâme, même les choses les plus innocentes. Quand Marie-Antoinette inaugure la mode des grandes plumes balancées en panaches au-dessus de la tête, Mesdames parlent avec mépris de cet « ornement de chevaux, » et font des gorges chaudes aux dépens de leur nièce. De ces médisances sans portée, elles passent aux insinuations plus dangereuses. Toute l’existence privée de Marie-Antoinette est passée au crible à Bellevue, commentée et dénaturée avec une savante perfidie, et les historiettes scandaleuses, d’abord colportées à voix basse dans le salon des trois princesses, se répandent de là dans Paris, empruntant à cette origine un semblant d’authenticité qui en décuple le venin. « Ce que l’une avançait, l’autre le confirmait, et la troisième rendait l’anecdote incontestable[2]. » Elles en vinrent ainsi peu à peu, dit un contemporain, « aux calomnies atroces et aux propos terribles. » C’est à Bellevue que naît l’appellation qui conduira plus tard la Reine à l’échafaud ; ce sont ses tantes qui, les premières, l’ont baptisée du nom de l’Autrichienne.

Rien jusqu’alors, il faut le proclamer hautement, ne pouvait excuser la violence de ces attaques. Les grandes folies de jeu,

  1. Mémoires de Soulavie.
  2. Ibidem.