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incroyable. Tout va très mal dans toutes les parties. Les Choiseulistes crient terriblement contre le Roi, les princes du sang s’en moquent, les anciens parlementaires le détestent, et les nouveaux le méprisent. Voilà le tableau fidèle du jour ; il est bien affligeant pour les gens attachés au Roi, qui veut le bien et qui ne le fera point. »

Le premier rôle, dans la nouvelle pièce qui commence, n’appartient pas aux frères du Roi. Le Comte et la Comtesse de Provence, retirés à l’écart, hors de l’intimité royale, et presque uniquement occupés de spéculations financières, se contentaient, tout en thésaurisant, de fronder à voix basse. Leur malveillance cachée ne dépassait guère les limites de leur petit cercle restreint, composé de gens complaisans, pour la plupart obscurs et sans influence politique. Le Comte d’Artois montrait moins de réserve. Le dérèglement de ses mœurs, ses continuelles fredaines, l’impertinence de ses propos, poussaient parfois à bout le débonnaire Louis XVI, l’obligeaient de rappeler à l’ordre un jeune écervelé qui ne respectait rien. Mercy en rapporte un exemple, qui peint assez exactement les rapports des deux frères. Le Roi, dans une chasse à Versailles, tue par mégarde une poule faisane ; le Comte d’Artois fait aussitôt de même ; de quoi le Roi l’ayant repris sur le ton de la plaisanterie : « Mais vous en avez bien tué une vous-même ! répond le prince avec aigreur. — Je vous demande pardon, monsieur, réplique alors Louis XVI, je croyais être chez moi. » — « Cette petite leçon, dit Mercy, n’en imposa guère à M. le Comte d’Artois, qui a trop peu d’esprit, trop de violence et de suffisance, pour pouvoir être ramené à ses devoirs par des voies de douceur[1]. » Les lettres de l’ambassadeur montrent en effet le jeune prince comme abusant « avec la dernière indécence, » fût-ce dans un cercle officiel, de la douceur et de l’indulgence fraternelles, « passant vingt fois devant le Roi, le poussant, lui marchant presque sur les pieds, sans la moindre attention et d’une façon vraiment choquante. » La Reine elle-même, quelle que soit sa prédilection pour ce fâcheux beau-frère, est bien forcée d’avouer qu’il va quelquefois un peu loin : « Il est vrai, confesse-t-elle[2], que le Comte d’Artois est turbulent et n’a pas toujours la contenance qu’il faudrait ; mais ma chère maman peut être assurée que je sais l’arrêter dès qu’il commence des polissonneries, et, loin de

  1. Lettre du 7 octobre 1774. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Lettre du 16 novembre 1774. — Ibidem.