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à Andrinople et à Constantinople, en août 1908 et en avril 1909. Mais ici, ce fut une petite, toute petite rébellion… Voilà nos mutins maîtres de la ville ; ils ne font d’ailleurs aucun mal à la population, et se dirigent en masse vers la gare. « Nous voulons aller à VIdiz, voir notre père le Sultan, et nous assurer qu’il est vivant et libre… » Trois cent cinquante environ purent ainsi partir… Un peu avant de débarquer à Constantinople, ils furent arrêtes par le ministre de la Guerre qui les tança d’importance. Néanmoins, ils furent conduits à Yldiz et ils aperçurent leur père le Sultan qui leur fit donner à manger et à boire et leur conseilla de rentrer chez eux…

Un des fumeurs, jetant sa cigarette, conclut :

— C’était le prologue, le lever du rideau… Ah ! l’affaire du 13 avril ne nous a pas surpris !…

— Andrinople a envoyé des troupes nombreuses, des volontaires ? …

— Oui beaucoup. Mais il y avait aussi beaucoup de soldats qu’on devait licencier et qu’on a renvoyés dans leur pays, en Anatolie. Au croisement des lignes de Constantinople et de Dédéagatch, ils ont rencontré des régimens qui arrivaient de Salonique avec Niazi bey… Ces régimens les ont exhortés : « Frères, venez avec nous sauver la Constitution ! » Mais les Anatoliens ont répondu : « Nous marcherons contre les Bulgares, tant qu’on voudra ; jamais contre le Sultan. »

Quelqu’un murmure :

— Ah ! ce n’est pas fini !… Les Jeunes-Turcs assument une tâche très belle, mais bien difficile… Etablir l’unité morale d’un pays où les conflits de race et de religion…

Dans l’escalier, des cris éclatent… Est-ce que les soldats révoltés assaillent la maison ? La porte s’ouvre, et l’on aperçoit Marika, la femme de chambre et le beau cuisinier Dimitro qui vocifèrent en grec. Derrière eux, les moustaches terribles, la veste à dorures et la fustanelle blanche du cavass albanais Hussein apparaissent et disparaissent…

Le cuisinier est blême d’émotion… Il gémit, dans sa langue natale, dans ce grec cliquetant et caquetant, que la femme de chambre, — élève des sœurs françaises de Karagatch, — traduit en phrases pathétiques… Et la maîtresse de la maison nous dit :

— Le voilà bien, le conflit de races !… ^