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— Le boulevard de la Turquie, la sentinelle avancée contre le Bulgare !… Elle a bien accueilli la Constitution ?

— Oui… certainement… Un beau jour de juillet 1908, les officiers ont envahi le palais du commandant de corps d’armée en lui demandant de jurer fidélité à la Constitution, sur le Coran et sur le sabre… Le pauvre général a eu si peur qu’il a pris son tout petit garçon dans ses bras, comme bouclier… C’est l’usage… Le sultan Abdul-Hamid ne manquait jamais, dans les jours troublés, de garder son plus jeune fils près de lui, en voiture. Les Turcs respectent la vie des enfans et celle des personnes qui portent les enfans… Donc, le général, tenant son gamin, jura tout ce qu’on voulut, et le peuple fut invité à se réjouir… Il était plus étonné encore que le général, le bon peuple !… Liberté, Constitution !… Il ne savait pas d’où lui venaient ces belles choses un peu vagues, et il ne savait pas très bien à quoi ça servait… Néanmoins, il rendit grâce au Padischah, et se réjouit de confiance… Mais une délégation arriva de Sérès et de Salonique, et dans la gare on avait mis des drapeaux, des cartouches avec le chiffre d’Abdul-Hamid et l’inscription : « Vive le Sultan qui nous a donné la liberté ! » Cela ne plut guère aux délégués qui dirent : « Il faut cacher ces cartouches… » Et puis des musiques jouèrent la marche Hamidié… « Faites taire ces musiques là !… » dirent encore les délégués de Sérès et de Salonique…

« Alors, des officiers, un peu grisés par l’enthousiasme, furent pris d’une folie démocratique et égalitaire ! Ils arrachèrent les galons et les boutons de leurs uniformes, afin de ressembler mieux à leurs frères les soldats. Ils montèrent sur des bornes et crièrent, en tapant sur leur sabre : « Le Sultan n’a rien donné du tout ! La liberté, nous l’avons prise avec ça !… !… »

« Ils disaient la vérité, et c’est très dangereux de dire la vérité aux gens qui ne sont pas préparés à l’entendre… Les soldats, travaillés par les prêtres, commencent à murmurer. Trois jours après cette algarade, ils malmènent les officiers qui se réfugient dans les consulats… La ville est au pouvoir des rebelles…

— Mais c’est l’émeute du 13 avril que vous me racontez là ?

— Presque… Les mêmes causes eurent les mêmes effets,