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mais encore le défaut de surveillance qui y existait, et c’est ce qui a encouragé son audace. Il a comparé ses risques d’échec à ses chances de succès, et les dernières l’ont emporté dans son esprit, en quoi ses calculs ne l’ont pas trompé. Voilà précisément ce qui est grave. Un pareil fait ouvre des jours fâcheux sur la situation intérieure de notre armée.

On a dit encore que, si l’étranger a des espions chez nous, nous en avons chez lui, et que, tout compte fait, le rendement des nôtres vaut celui des siens. Nous aimons à le croire. Quelques-uns de nos généraux, et non des moindres, ont confié à des journalistes qu’ils se sentaient, qu’ils se savaient, qu’ils se voyaient entourés d’espions : ils ne pouvaient pas faire un pas sans qu’une nuée s’en formât autour d’eux. Ces espions-là ne sont pas les plus dangereux, et plût au ciel qu’il n’y en eût pas d’autres ! Les plus à craindre sont ceux qu’on ne voit pas, qui ne se livrent pas à des courses de bicyclettes autour de nos officiers, et dont l’action discrète se manifeste tout d’un coup, comme à Châlons, par la disparition d’un objet important. Les pires de tous, est-il besoin de le dire ? ne sont pas les étrangers, mais les Français qui font cet abominable métier, et surtout ceux qui, étant sous les drapeaux, opèrent dans la place même où sont accumulés nos moyens de défense. Ce sont ces derniers qu’il faut particulièrement surveiller. Enfin, il y a un moyen très simple de prévenir le retour des surprises pénibles que nous venons d’éprouver : c’est d’exercer une surveillance constante sur notre matériel militaire et de multiplier pour cela les gardes et les sentinelles. Il paraît qu’on en a, tout au contraire, beaucoup diminué le nombre depuis quelque temps, et cela pour alléger le poids des corvées du soldat. On voit aujourd’hui le résultat de ces faiblesses. Nous nous garderons bien de jeter le discrédit sur notre armée. Elle contient des parties qui sont restées très fortes et très saines. L’instruction et le dévouement des officiers sont hors de pair ; le patriotisme des soldats a résisté victorieusement à la propagande antimilitariste, et leur entraînement professionnel, — les dernières grandes manœuvres l’ont montré, — laisse peu de chose à désirer ; mais le lien qui unit tous ces élémens dans une action continue s’est peu à peu relâché à mesure que le service militaire devenait obligatoire et que la durée en était abrégée. Il semble que, plus le service est court, plus la discipline devrait être stricte et sévère. Il n’en est pas ainsi ; le laisser aller s’étend et se généralise, et c’est à corriger cet état de choses que doit s’appliquer, avant tout, notre nouveau ministre de la Guerre.