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dans sa voiture, la compromet aux yeux de tous. La jolie fille ne résiste pas à ce roué qui l’attire dans sa maison. Les deux amans jurent de ne plus se quitter, de s’épouser à bref délai. Cependant les pouvoirs de Fréron expirent en pluviôse, et, le 30 ventôse, Jourdan, député des Bouches-du-Rhône, demande le rappel immédiat du commissaire. L’éloquence d’Isnard vient appuyer celle de Jourdan ; Stanislas est obligé de quitter Marseille. Avant de le faire, il écrit au général en chef de l’armée d’Italie pour qu’il décide Mme Bonaparte à consentir sur-le-champ au mariage. Bonaparte différa sa réponse. Arrivé à Paris, — le 6 floréal, — Fréron fut chargé de tous les crimes. Paillette lui écrivait : « Je voudrais être avec toi, je te consolerais de toutes les injustices qu’on à pour toi, » — et en post-scriptum : Ah ! caro mio, cara mia spera, idole mio,... li amo sempre et passionatissimamente, per sempre ti omo, ti amo, sbell’ idol mio, sei cuore mio, tenero amico, ti amo, amo, amo, si amatissimo amante. » Mais Bonaparte, sachant à quoi s’en tenir sur le citoyen Fréron, signifia à Paulette de renoncer à lui. Elle pleura beaucoup, puis s’éprit de Junot.

La fin de Fréron fut lamentable. Les Cinq-Cents refusèrent de valider sa nomination de député de la Guyane sous prétexte que les électeurs n’avaient pas été régulièrement convoqués. Repoussé par ses anciens amis, Fréron quémande en vain un emploi. Il est la proie des huissiers qui menacent de saisir son mobilier. Lorsqu’il se glisse dans une salle de spectacles, c’est pour apercevoir encore une fois Paillette qui est maintenant la femme du général Leclerc. Après le 18 Brumaire, le ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte, qui seul lui témoignait de l’intérêt, lui donna l’administration des Hospices de Paris. Fréron accepta cette situation « pour ne pas mourir de faim. » Il ne remplit ces fonctions que durant trois mois, pendant lesquels il rédigea un ouvrage sur l’organisation des hôpitaux de Paris et des Monts-de-piété.

Lucien obtint du Premier Consul qu’il nommât Fréron sous-préfet des Cayes à Saint-Domingue, aux appointemens de dix-huit mille francs par an. Cette nomination coïncidait avec l’expédition organisée contre les nègres de Toussaint-Louverture. Fréron n’eut pas le courage de monter sur le même vaisseau que Leclerc et Paulette. Il prétendit n’avoir pas trouvé de place à bord de l’escadre et ne quitta Brest qu’à la fin de ventôse. A peine eut-il rejoint son poste, — après une traversée de deux mois et demi, — qu’il succomba, le 26 messidor an X, à une épidémie de dysenterie. Il était âgé de quarante-huit ans. Aucun journal ne mentionna en France le décès de l’ancien publiciste.