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à la ville rebelle. Les chefs du mouvement insurrectionnel s’étant enfuis, on fusilla des innocens. Huit cents victimes furent exécutées sans jugement. Un décret de la Convention débaptisa Toulon et l’appela Port-de-la-Montagne. A Marseille, une Commission militaire remplaça le tribunal populaire qui mettait trop de lenteur à rendre ses arrêts.

Fréron et Barras, accusés de pillages, furent désavoués par le Comité de Salut public et rappelés à Paris. Le 10 germinal, Fréron vota par lâcheté le décret « qui ordonnait la comparution de Camille Desmoulins et de Danton devant le Tribunal révolutionnaire. » « Le décret d’accusation, — lit-on dans le Moniteur du 12 germinal, — fut adopté à l’unanimité et au milieu des plus vifs applaudissemens. » Lucile Desmoulins fut exécutée le 24 germinal. Fréron jura à Mme Duplessis de venger les chères victimes. Le 8 thermidor, il demanda la tête de Robespierre, de Couthon, de Lebas et de Saint-Just. Après le 9 thermidor, Tallien, Barras et Fréron formèrent « un tout-puissant triumvirat. » Fréron, qui avait repris la direction de l’Orateur du peuple, attaqua les anciens montagnards, ceux qui avaient soutenu Robespierre contre Camille Desmoulins. Devenu le chef de la Jeunesse dorée de l’an III, il réussit à fermer le club des Jacobins, mais ne fut pas réélu à la nouvelle législature, à la fin de l’an III.

Barras l’envoya en mission dans le midi de la France comme pacificateur. Fréron arriva le 9 brumaire à Marseille. C’est alors qu’il rencontra chez les Clary les sœurs de Bonaparte. La famille Bonaparte, exilée de Corse, avait traversé de dures épreuves à Toulon pendant le siège, puis à Marseille où, pendant quelque temps, elle avait vécu grâce au bureau de bienfaisance. Mme Laetitia avait été blanchisseuse. Quant à Élisa et à Paulette, elles « s’étaient déjà fait remarquer à Marseille par leur coquetterie, plus peut-être que par leur beauté. » Paulette, qui a seize ans, sait qu’elle est jolie et ne tarde point à trouver en Fréron un admirateur passionné. « C’était un homme de quarante ans passés, qui n’avait rien de séduisant dans le visage ou la tournure : un front fuyant, un nez gros et flaireur, des yeux à fleur de tête, une bouche aux lèvres minces ; dans l’aspect général, malgré la différence des traits, quelque ressemblance avec Robespierre aîné, son ancien camarade à Louis-le-Grand ; des cheveux soigneusement poudrés, une toilette recherchée, rien, dans la tenue, du maratiste[1]. » Très épris de Paulette, le commissaire du gouvernement la promène

  1. Ce portrait, dû à la plume de M. Frédéric Masson, correspond bien au dessin dont M. Arnaud a orné son volume.