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et puis je m’enfuirai, de nouveau, de chez toi au Parc, et de nouveau je chanterai aux gens, mais en étant encore beaucoup plus enfant et plus heureux qu’hier : car, hier, tu ne m’as pas embrassé, hier tu as eu toute sorte de folles réminiscences d’autrefois ! Demain matin, je dois aller avec Genz et Stoll à Lauchstedt ; et puis je reviens, je t’ai de nouveau, je t’embrasse de nouveau ! Ô Sophie, ouvre bien les yeux, et aime-moi, aime-moi très, très fort, oublie la vie, oublie que tu es une femme d’esprit ; n’aie de cœur, de lèvres, de bras que pour moi seul ; et bois-moi jusqu’au fond, pendant que je mousse, car tu retrouveras une vie nouvelle, tu redeviendras plus belle et plus jeune, quand tu te seras enivrée en moi !


Ou encore, quelques jours plus tard :


Ce billet n’est rien de plus qu’un enfant né de l’impatience du plus impatient des enfans. Il ne te dira rien que ce que tu sais, et crois, et espères et aimes : c’est-à-dire que je t’aime, t’aime follement ! Toute la nuit j’ai rêvé de toi : de tels rêves sont de merveilleuses îles de notre amour, où nous sommes deux Robinsons ; mais quand, ensuite, le jour apparaît, l’île se trouve submergée par l’océan de l’amour, et je ne sais plus même ce qu’a été mon rêve, car, tout de suite, en état de veille, je me remets à rêver de toi. Oh ! je veux instruire un oiseau, un bel oiseau bariolé, qui, tout le long du jour, te chantera : « Réjouis-toi, Trautlieb (confiante dans l’amour), il t’aime de tout son cœur, t’aime, t’aime, t’aime, ô chérie ! » Ah ! je ne me reconnais plus, ma vie entière est transformée ! Une foule de flammes, que je tenais emprisonnées au fond de mon cœur, sont venues, à présent, entourer mon front ; et bientôt tu me verras avec des boucles de feu. Une foule de sources qui se cachaient au dedans de moi ont rompu leurs digues, et se précipitent à travers mes veines ! Mon sang devient une fontaine de Castalie, et mon cœur bondit frénétiquement, au lieu de battre comme celui des autres hommes. Bientôt, ma chérie, bientôt je vais chanter comme personne encore n’a chanté jusqu’ici…

Ainsi, cela est possible, cela est vrai, que tu m’aimes ! (En ce même instant, j’en reçois ton propre aveu.) Dieu, quelle rencontre merveilleuse ! Voici que tu me réponds avant que je t’aie parlé ! C’est la première fois, c’est Dieu qui m’accorde cette grâce !… Tu ne peux savoir combien je suis ému de cette magnifique coïncidence ! C’est la preuve que notre amour est vrai, et vivant, qu’il est éternel, et que Dieu lui-même daigne y prendre part !


Enfin voici, sur un ton forcément un peu différent, quelques lignes d’une lettre écrite par Brentano à sa femme le 1er septembre 1805, après deux années bientôt de vie conjugale :

J’aspire indiciblement à me retrouver chez nous (il écrit de Wiesbaden, où il est venu faire une cure, et où, d’ailleurs, il ne tardera pas à appeler sa femme auprès de lui). Le moindre de mes déplacemens me donne l’impression d’être abandonné. Ah ! Sophie, je sens que j’ai au cœur assez d’amour pour pouvoir même supporter avec amour maints soucis déchi-