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Notre angoisse, mélange un doute à notre ennui.
Son souvenir, parfois, est plus fort que celui
Des tourmens supportés, qui deviennent un songe ;
L’inflexible réel est moins que son mensonge,
Et son charme survit aux vérités du sort.
N’advient-il pas aussi, mortel, que son essor
Amène les clartés dont elle est l’hirondelle.
Et que son léger vol, nous demeurant fidèle.
Au lieu de sa promesse apporte le bonheur ?
C’est elle aussi qui donne aux souhaits leur ferveur,
Aux amours, leur audace, aux efforts, leur constance.
Et c’est pourquoi, mortel, honore l’Espérance !


II


Redoute l’Espérance ! Elle est la messagère
Qui précède les Maux, et dont la main légère
Sollicite nos cœurs à les mieux ressentir.
Sans elle, tes chagrins viendraient s’appesantir
Sur des cœurs résignés et bientôt impassibles.
Des coups trop continus tomberaient moins terribles
A ceux que l’habitude incessante du mal
Durcirait contre lui ; son poids toujours égal
Pèserait moins, alors qu’il ne saurait surprendre.
La perfide Espérance, en nous laissant attendre
Les vains bonheurs brodés sur son voile menteur.
En mollissant nos sens sous sa feinte douceur,
Interrompt notre effort et notre accoutumance,
Et nous livre surpris, séduits et sans défense,
A son complice obscur derrière elle caché.
Dans le morne vouloir où l’homme retranché.
Sachant qu’il doit souffrir, à son destin se hausse,
Elle vient le chercher ; sa main charmante et fausse
Lui présente des fleurs ; lorsque, pour les saisir,
Lâchant le bouclier qui devait le couvrir,
Il avance les doigts vers leur gerbe trompeuse,
Siffle le javelot, qui, dans l’aisselle creuse,
Frappe et vibre enfoncé sous le bras désarmé.
Elle fuit un instant, d’un grand vol alarmé