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La rumeur qui montait monstrueuse et mêlée
S’ordonnait en trouvant leur écho souverain,
Tant que, passant par eux, elle en sortait réglée
Sur les grands mouvemens mesurés de l’airain.

Ils donnaient, la prenant dans leur voix surhumaine,
A l’ignoble clameur de la plèbe, un accent
D’orgueil impérial et de grandeur romaine,
Et quelque majesté planait sur tout ce sang.

Mais quand le soir rendait les arcades plus noires,
Quand partait le César, des licteurs précédé,
Et que, par ses nombreux et vastes vomitoires,
L’amphithéâtre énorme était enfin vidé.

Quand les gradins déserts du gouffre taciturne,
Vers la placidité, vers la sérénité.
Vers la sévérité de la voûte nocturne
Montaient, ainsi qu’un mont par les loups déserté,

Les grands vases d’airain, impuissans à se taire,
Continuaient l’émoi dont ils étaient remplis ;
Sur la tragique arène, à présent solitaire,
Ils prolongeaient l’horreur des forfaits accomplis.

Maintenant ils jetaient les plaintes des victimes,
Les prières, les cris, les supplications.
Les appels vers un Dieu qui doit punir les crimes.
Le vol désespéré des malédictions.

Cette criée atroce, immense et continue.
Recouvrait le grand cri triomphal presque éteint,
Comme si la pitié, de ce peuple inconnue,
Avait fini par naître en ces parois d’airain.

Et les derniers échos de victoire et de fête,
Qui, plus ils faiblissaient, plus ils semblaient affreux,
Se taisaient à la fin perdus dans la tempête
De lamentation qui remplissait les cieux.