Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Quand une multitude effarée et poussée
Par les fouets et les dards dans le cirque désert,
Voyait, en tas tremblant et gémissant massée,
S’ouvrir, à l’autre bout, les grillages de fer.

Et s’approcher les bonds des bêtes affamées,
Et qu’au bout d’un instant il ne subsistait plus
Que des marais de sang et des chairs parsemées
Dans lesquels se léchaient des animaux repus ;

Quand le meurtre, montant en monstrueux effluve,
Soulevait tout un peuple en un même transport.
Et que l’amphithéâtre était comme une cuve
Sanglante où fermentait l’ivresse de la Mort ;

Un formidable bruit, plus fort que les orages.
De gradins en gradins courait comme une mer ;
Les acclamations, les bravos, les outrages.
Les clameurs de courroux, les entrechocs du fer,

Les lourds rugissemens, les hurlemens des bêtes.
Les hoquets des vaincus, les défis des vainqueurs,
Les grands cris féminins déchirant ces tempêtes.
Tout un tumulte affreux d’effrois et de fureurs

Grondait dans ce cratère en une immense houle,
Et roulant son délire atroce sur les fronts,
Prenait, sur les milliers de bouches de la foule,
Des grondemens nouveaux qui grandissaient ses bonds

Frappés et recueillant ces redoutables ondes.
Les grands vases d’airain se remplissaient d’émoi,
Et, leurs flancs frémissant de clameurs furibondes
Vibraient à l’unisson avec le Peuple Roi.

Ils enflaient de leur voix la voix de Rome entière ;
Leur métal, s’animant au rythme qu’il contient.
Dans son ébranlement énorme et circulaire.
Embrassait tous ces bruits de son grave soutien.