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Tant y a que nos bons chauffeurs civils en prennent cette fois fort à leur aise. Ils sont beaucoup trop nombreux pour la chauffe très modérée qu’on leur demande ces jours-ci. Mais on tâche de faire tomber la manne des supplémens de solde sur le plus de têtes possible. Quant aux ouvriers ordinaires du bord, ceux qui « achèvent » le bateau, ils sont dans un parfait contentement : ils touchent trois dixièmes de supplément par jour, parce que, — amusante fiction ! — ils sont considérés comme étant « à la mer, » et ils ne font absolument rien, plus rien. Ils jouent à la manille sur le pont, le plus tranquillement, le plus ouvertement du monde et nous regardent, par surcroît, d’un air goguenard. Vaissière, à qui je les montre, hausse les épaules. Il paraît que c’est la tradition : le « point fixe, » c’est le pays de cocagne. Allons, soit ! je le veux bien. Et d’ailleurs, si je ne le voulais pas, ce serait tout de même...

On est tout aux nouvelles d’Extrême-Orient, ici, et les appréhensions que l’on ne peut s’empêcher de concevoir ramènent l’attention sur une foule d’incidens assoupis : le Solférino et sa réfection toujours ajournée, ses chaudières neuves dans un coin, sa machine dans un autre ; le Joubert qui, depuis un an tantôt, à raison d’une demi-douzaine par mois, change les tubes avariés de ses appareils évaporatoires ; l’Hamelin, venu de Brest à Toulon pour remplacer le Souverain, le vaisseau-école des canonniers, mais qu’il faudrait transformer au préalable, et le Souverain, qui ne veut pas être remplacé, qui proteste, qui aura probablement gain de cause, mais dont il faudra alors changer les chaudières... Tout arrêté, tout suspendu ; ordres sollicités, implorés, et qui ne viennent pas, ou qui viennent trop tard, comme dans cette déplorable affaire du Choiseul, enfin parti pour Saigon, mais Dieu sait comment !...

Avec cela, pénurie extrême de personnel. A chaque conférence des commandans chez le major général, les plaintes s’élèvent, toujours plus vives, plus pressantes. Le commandant du dépôt des équipages s’arrache les cheveux. Le major général en fait autant. On en réfère au préfet maritime, qui sourit tristement et d’un doigt fébrile tapote les états de situation qu’il envoie périodiquement et inutilement au ministre.

18 février. — Fort intéressante visite à la Seyne pour voir où en est le cuirassé en construction . ...le suis passé d’abord par le bel établissement de pyrotechnie de Lagoubran, où l’activité