Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renseigner et flatté qu’on l’interroge. Au demeurant le meilleur fils du monde, pourvu qu’on n’exige pas qu’il travaille de ses propres mains. C’est lui qui figure dans cette petite scène que l’on raconte à Toulon depuis qu’il y a un arsenal. Deux ouvriers sont assis sur leurs boîtes à outils. Ils causent de leurs petites affaires. Un monsieur vient à passer, un rapporteur du budget de la Marine, par exemple : « Dites-moi, vous, mon ami, qu’est-ce que vous faites en ce moment ? — Moi ? té ! Je ne fais rien... — Bon ! Et vous ?... — Moi, té ! Je le regarde faire !... »

Nous avons encore l’ouvrier promeneur. C’est inouï ce qu’il y a, sur le d’Orvilliers et autour du d’Orvilliers, de gens qui se promènent. Oh ! ne les questionnez pas... Ils ont, tous, les plus plausibles motifs de se livrer à cet exercice, d’ailleurs salutaire : ils vont à l’atelier, ou ils en reviennent ; ils apportent un gabarit, ou ils le remportent ; et aussi une tôle, un tuyau, un outil...

Regardez celui-ci : c’est l’ouvrier rêveur, tantôt assis dans un coin noir, les coudes aux genoux et la tête dans les mains, tantôt appuyé au seuillet d’un sabord, les yeux vagues, emplis de lumière. Mais que ce soit dans la tristesse des fonds obscurs, ou dans la gaieté de la claire batterie haute, je crains que le rêve du pauvre homme n’ait rien de poétique : détresse, soucis, envie souvent, haine quelquefois, en voilà le fond, avec des espérances folles et de cruelles déceptions, au gré des changeans caprices de la politique. Ma foi ! j’ai à peine le courage de le réveiller lorsque, peu à peu, sa tête s’incline, cédant au sommeil... C’est l’oubli, un moment.

Enfin, il y a la masse, le troupeau, où aucun trait ne se précise que l’universel nonchaloir, la « flemme » tranquille, assurée, correcte presque, du fonctionnaire mal payé, mais qui a une retraite et qui se sait à l’abri du chômage.

27 septembre. — Le d’Orvilliers est au bassin de radoub où l’on va rafraîchir sa peinture de carène et prendre les mesures nécessaires pour lui adapter, au printemps prochain, des quilles latérales destinées à diminuer le roulis.

Je suis descendu cet après-midi au fond de la cuve immense. Les formes de la carène sont fines et si l’on diminue le volume des supports des hélices, qui, un peu massifs, vraiment, créeraient une inutile résistance à la propulsion, nul doute que la vitesse du d’Orvilliers n’atteigne, ne dépasse même un peu le chiffre prévu. À ce propos, Grosselin, l’ancien attaché naval