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Celui qui, s’étant engagé à professer cette religion, vivra comme s’il ne la professait pas, sera puni de mort.

On peut s’égayer, pour dissiper ce que le sujet a de lugubre, sur cet ennemi de l’intolérance catholique qui met dans la religion qu’il institue l’esprit de tolérance que l’on vient de voir. Cependant, il faut comprendre ; sans accepter le mot fameux : « comprendre, c’est déjà approuver, » il faut comprendre. Rousseau se croit bien plus tolérant que les catholiques, parce que, ce qu’il reproche aux catholiques c’est, damnant l’hérétique, de voir dans tout hérétique un criminel, un hors la loi, tandis que lui ne voit dans son hérétique qu’un inadapté à la société qu’il faut éliminer de la société et qui ne devient criminel que quand il a trompé la société par un parjure. La distinction est subtile ; mais dans l’esprit de Rousseau elle existe. — Il n’en va pas moins que Rousseau très logique ici, comme il l’est presque toujours, ne fait ici, comme partout ailleurs, que déplacer la souveraineté et transporter au peuple et les maximes et les pouvoirs de la Royauté : de même que le roi était omnipotent, omni-possesseur, omni-propriétaire et devait imposer à ses sujets la foi qui lui était nécessaire, à lui, pour bien gouverner ; de même le peuple sera omnipotent, omni-possesseur, omni-propriétaire et devra imposer à chacun la foi qui lui est nécessaire à lui pour être un peuple uni, pour être un peuple. La théocratie de Rousseau, c’est la théorie de la révocation de l’Edit de Nantes transportée au peuple et appliquée par le peuple. Il faut un minimum d’unité morale dans le peuple pour que le peuple soit fidèle à son roi, voilà ce que dit Louis XIV ; il faut un minimum d’unité morale pour que l’individu soit fidèle au peuple et soit tenu pour faisant partie du peuple, voilà ce que pense Jean-Jacques Rousseau. Et il ne se peut croire que très libéral, puisque, au lieu d’imposer au peuple une religion, la sienne, dans tout le détail de ses dogmes, il ne lui impose que l’extrait et comme l’essence de toutes les religions connues, plus la fidélité à la constitution nationale, c’est-à-dire à la patrie. Trouveriez-vous extraordinaire, — moi, point, — que tout individu qui prêchât l’anti-patriotisme et la révolte contre la patrie, surtout contre la patrie en danger, fût expulsé de la patrie et obligé de n’y pas rentrer sous peine de mort ? C’est précisément ce que Jean-Jacques Rousseau édicté. — Mais à cette obligation de respecter et de professer la morale sociale, Jean-Jacques Rousseau ajoute des