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elle était assise hier : « Le souverain n’a nul droit de toucher au bien d’un particulier, ni de plusieurs : mais il peut légitimement s’emparer du bien de tous, comme cela se fit à Sparte du temps de Lycurgue, »

Comme conséquences transitoires et applicables dès à présent aux sociétés modernes, une loi de maximum en matière de propriété : « Nul ne pourra posséder plus de... [chiffre à fixer selon l’état économique du pays] terres. Celui qui aura cette quantité pourra, par échanges, acquérir des quantités pareilles, mais non plus grandes. » L’essentiel pour le moment est que « tout le monde vive et que personne ne s’enrichisse. »

Collectiviste en principe, partagiste pro tempore, de telle manière qu’il n’y ait ni riches ni pauvres, tel est, sans contestation pour moi, Jean-Jacques Rousseau en matière économique.

Ici ses deux politiques, si je puis m’exprimer ainsi, et ce mot s’éclaircira plus loin, se rejoignent et font confluent. Comme anti-civilisationiste, comme ennemi d’un état social qui a fait de la surabondance des biens en haut, de la misère en bas, et de la corruption partout, il veut revenir (ainsi que Montesquieu, du reste, le fait plus d’une fois) à un régime de quasi égalité, au moins de simplicité et de frugalité ; comme partisan de la souveraineté nationale il n’admet pas de droits individuels et non pas plus celui de propriété individuelle que de liberté individuelle, et il tient pour légitime que le souverain confisque, pour le bien public, une propriété, à la condition, pour qu’il n’y ait pas acte tyrannique, qu’il les confisque toutes.

On a tout dit et par conséquent je dirai très peu de chose sur Rousseau théocrate ou la théocratie de Jean-Jacques Rousseau. On sait qu’elle tient en quelques lignes, mais décisives : en dehors des religions proprement dites, lesquelles seront toutes tolérées, excepté le catholicisme parce qu’il est intolérant et qu’il dit : « Hors de l’Eglise, pas de salut, » il doit y avoir une religion civile, une religion nationale, une religion à laquelle on doit croire comme citoyen, parce qu’il importe à la cité que les citoyens y croient. Cette religion comporte la croyance en Dieu, la croyance à l’immortalité de l’âme et aux récompenses et châtimens d’outre-tombe, le dévouement au contrat social qui unit et qui oblige tous les citoyens. Rien de plus. Celui qui refusera de s’engager à professer cette religion, sera exilé, puisqu’il n’est pas citoyen.