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du Paraguay, Etat purement collectiviste, auquel Montesquieu lui-même a rendu hommage ; que les Jésuites, au XVIIIe siècle, en vantant leur Paraguay, à la fois mettaient en honneur les vertus du sauvage et « l’état de nature ; » et à la fois préconisaient un Etat collectiviste sans aucune propriété individuelle, administré par des chefs vertueux qui, eux-mêmes, n’avaient aucune propriété individuelle et où régnaient l’ordre, l’humanité, la fraternité, la vertu et le bonheur.

Toute cette partie du livre qu’on pourrait intituler « les sources de Rousseau » (elle est dispersée dans le volume et il eût peut-être mieux valu qu’elle fût concentrée en un chapitre) est du plus grand, du plus vif intérêt.

Quand il entre dans l’analyse des principales idées générales de Rousseau, M. Rodet n’est point guidé par un goût, ni par une raison moins surs. J’étudierai avec lui Rousseau en sa sociologie générale, Rousseau démocrate, Rousseau socialiste et Rousseau théocrate.

Rousseau, comme sociologue général est anti-progressiste, anti-civilisationiste, anti-politique, comme auraient dit les Grecs. Il croit que l’homme est né bon et que partout il est dépravé, comme il est né libre et partout il est dans les fers. Il croit cela, d’abord et un peu, comme nous l’avons vu, parce qu’on le dit tout autour de lui, ensuite et surtout parce que lui-même se sent né bon et a parfaitement conscience qu’il est devenu mauvais, ou a failli devenir mauvais, depuis qu’il a cessé d’être un sauvage. De là ses fameux mots : « L’homme qui réfléchit est un animal dépravé, » — « la société est naturelle (car elle aussi est naturelle] à l’espèce humaine, comme la décrépitude est naturelle à l’individu, » etc., etc. De là les deux fameux Discours ; de là l’inspiration générale de la Nouvelle Héloïse, de l’Emile, de la Lettre à d’Alembert, enfin de presque tous les ouvrages de Rousseau.

Notez, — on a assez insisté sur ce qu’il y a de faux dans ces idées pour que j’arrête un instant votre attention en sens contraire, — notez que cela n’est pas radicalement faux. La civilisation se paye. Pour du bien qu’elle apporte, elle apporte aussi du mal. Sans entrer dans un détail qui serait infini, la civilisation épargne des efforts à l’humanité par l’invention des machines, et l’on voit que plus le machinisme augmente, plus les efforts de l’humanité deviennent fiévreux, maladifs et exténuans ;