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LA POLITIQUE DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Quoique je regrette qu’il n’ait pas voulu sacrifier aux grâces littéraires, je dois signaler le livre de M. Rodet : Le Contrat social et les Idées politiques de Jean-Jacques Rousseau comme un livre essentiel, de première valeur, original, encore que le sujet ait été traité cent fois, et inspiré de l’esprit le plus juste, le plus impartial, le plus vraiment scientifique que je sache.

Avant tout, M. Henri Rodet, pour renouveler son sujet et aussi pour l’asseoir sur des bases solides, a recherché avec soin, sans craindre que l’originalité de Rousseau en pût souffrir, où Rousseau avait bien pu puiser ses idées générales.

Il a montré une fois de plus que ses idées démocratiques étaient celles qui étaient soutenues traditionnellement par tous les sociologues protestans depuis Jurieu jusqu’à Burlamaqui, et que le Contrat social n’est que le dernier aboutissement de la doctrine protestante.

Avec plus de mérite, il a montré que les idées de Rousseau sur l’homme bon et la société corruptrice étaient déjà très répandues au XVIIIe siècle ; que, là comme ailleurs, Rousseau, comme l’a dit si heureusement Mme de Staël, « n’avait rien inventé, tout enflammé ; » qu’il y a eu au XVIIIe siècle toute une « littérature sauvage, » ou « littérature taïtienne, » dont le Supplément au voyage de Bougainville n’est qu’un brillant spécimen ; que Gueudeville, le premier, dès la fin du XVIIe siècle, a prétendu mettre en lumière les vertus de l’homme primitif, etc. — M. Rodet aurait pu citer Montaigne comme l’ancêtre bien spirituel de tous ces écrivains.

Il a montré encore, avec beaucoup de raison, que le socialisme de Rousseau n’est pas sans devoir quelque chose aux panégyriques enthousiastes que faisaient les Jésuites de l’Etat