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sans la présence et, quelquefois, la pression des Occidentaux, ils continueraient à se reposer sur le mol oreiller de l’ignorance.

À cela on répond : « Qu’importe pourquoi et comment ils y viennent, pourvu qu’ils y viennent ! Si les Japonais se sont mis à notre école, ce n’est pas précisément de gaîté de cœur, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, c’est parce qu’ils s’y sentaient forcés, s’ils voulaient conserver leur indépendance. Les Musulmans feront comme eux : ils céderont aux mêmes nécessités ! » Mais la comparaison est boiteuse. Pour qu’elle fût exacte, il faudrait que les Musulmans, les Turcs en particulier, eussent les mêmes aptitudes, la même souplesse d’esprit, la même virtuosité d’imitation que les Japonais. Or ils en sont bien loin. En outre, le travail intellectuel a toujours été en honneur au Japon : il n’en est pas ainsi dans les pays islamiques. Depuis des siècles, les Musulmans sont habitués à considérer le savoir comme une vertu servile. Bon pour des Chrétiens et des Juifs de s’exténuer sur des livres ! Ces êtres rampans ne sauraient se pousser à la fortune et aux emplois par un autre moyen ! Mais eux, qu’ont-ils besoin de cela ? Ne sont-ils pas les maîtres souverains ! Une paresse aussi fortement enracinée peut bien être secouée par les argumens des novateurs : elle en est à peine ébranlée, et elle reste un gros obstacle aux progrès de la culture moderne.

La principale difficulté, — ne nous le dissimulons pas ! — c’est la religion. Ceux qui voudraient poursuivre le parallèle de la Turquie ou de l’Egypte musulmanes avec le Japon se tromperaient surtout en ce point. Ni le boudhisme ni le shintoïsme ne prétendent monopoliser. le salut des hommes. Au contraire, en dehors de l’Islam, il n’y a pas de salut pour le vrai croyant. Le Japonais ignore le fanatisme : la tolérance est une de ses habitudes morales les plus anciennes[1].De là vient que sa religion ne l’a point empêché d’accueillir la science et les philosophies étrangères. Aujourd’hui encore, l’Islam voit en elles ses plus redoutables ennemis. Sans doute des esprits distingués essaient d’atténuer le conflit, ils proposent des accommodemens, ils montrent que la conciliation est possible et, de loin en loin, ils ont la joie de convertir à leurs idées quelques ulémas. Ce ne sont,

  1. Je reproduis presque textuellement les phrases d’André Bellessort dans son beau livre : La Société japonaise (Perrin, éditeur). — Voyez notamment le chapitre : Les Japonais sont-ils religieux ? p. 190 et suiv.