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lui-même, très grave et très pâle dans sa belle barbe noire, chante avec les enfans et marque la mesure.

Ma visite était finie, déjà. Ce que j’avais vu et entendu n’était, encore une fois, pas grand’chose. Et pourtant, l’exemple donné par le fondateur de cette petite école prouvait davantage, à mes yeux, que toutes les déclarations des Jeunes-Turcs en faveur de l’instruction laïque et obligatoire. Et même, cette école me frappait bien autrement que celle de Mustafa Kamel. En effet, celui qui l’entretient est non seulement un Musulman, mais un religieux. Il ne parle ni le français, ni l’anglais, n’a aucun contact intellectuel avec les Européens ; il n’a été ni touché, ni stimulé par notre éducation. Cependant, il sent la nécessité d’emprunter à cette éducation tout ce qui est compatible avec l’esprit et le caractère de son pays ; il comprend que de procurer ou de refuser l’instruction moderne aux jeunes Musulmans, c’est pour eux une question de vie ou de mort. Voilà ce qui est tout à fait nouveau !

Néanmoins, il sied de remarquer bien vite que nous sommes à Jérusalem, c’est-à-dire dans un milieu extrêmement travaillé par les pédagogues européens. Rien d’étonnant à ce que leur effort finisse par entraîner les Musulmans eux-mêmes ; à ce que ceux-ci, alarmés par une telle concurrence, se préoccupent d’arracher aux étrangers les intelligences et les âmes de leurs enfans. Enfin, nous sommes en Syrie, dans la province la plus cultivée, la plus avancée de l’Empire, où l’on s’est toujours piqué de mépriser le Turc et de faire mieux que lui. Il est trop certain qu’ailleurs des tentatives comme celles-là ont moins de chance de se produire.


IV

Malgré ces efforts individuels ou collectifs, malgré l’action plus ou moins efficace des pouvoirs publics, malgré les déclarations d’amour pour la science dont la presse réformiste nous rebat les oreilles en Egypte comme en Turquie, je n’arrive pas à me convaincre que les Musulmans pris en masse aient la volonté ferme et bien arrêtée de s’instruire à l’européenne. En général, ils se résignent à subir notre éducation plutôt qu’ils n’y courent, et encore pas tous, il s’en faut de beaucoup ! La meilleure preuve qu’ils n’y viennent pas spontanément, c’est que