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notre rencontre. Lui, il est très digne, très courtois et très empressé. Sa politesse discrète a quelque chose d’ecclésiastique. Son caftan noir me rappelle la soutane de nos prêtres. Il s’est fait très beau pour la circonstance. La mousseline de son turban est d’une blancheur immaculée, et son ventre déjà respectable s’arrondit sous un superbe gilet de cachemir à ramages. Devant lui, nous ne payons pas de mine, le directeur du collège, les adjoints et moi, étriqués que nous sommes dans nos vestons à la franca. Ces adjoints, si j’ai bien compris, sont d’ailleurs d’assez minces personnages, des employés de bureaux, qui ne sont pas fâchés d’arrondir leur maigre salaire, en donnant des leçons en ville.

L’offre du café est l’entrée en matière obligatoire. Nous le prenons dans une petite chambre, garnie de nattes et de coussins sans préjudice d’un spacieux divan, où le moullah, les jambes croisées, s’ensevelit comme dans un tombeau. Le décor est strictement oriental. Puis, nous passons dans les classes : changement à vue ! Nous voici maintenant en Europe, — et quelle Europe malgracieuse ! Des bancs de bois, des tables trop étroites aux encriers qui coulent, des murs nus où s’espacent quelques cartes en couleurs avec leurs inscriptions arabes. Je m’approche de l’une d’elles, et je constate que l’Empire des Kalifes embrasse une foule de territoires actuellement occupés par les Giaours. L’Algérie, la Tunisie et l’Egypte sont toujours, officiellement, terres ottomanes.

Bien entendu, le Coran est, ici comme ailleurs, la base de l’enseignement. Nous traversons une salle, où des enfans le récitent ; d’autres se penchent sur leurs ardoises et, avec des mines studieuses, s’appliquent à copier un modèle d’écriture calligraphié sur le tableau. Dans la classe des grands, on fait une leçon d’arithmétique. Un des élèves, interrogé par le professeur, s’avance timidement devant le tableau et vient à bout, sans trop de peine, d’une division assez compliquée. Les interrogations en géographie n’ont pas autant de succès, et je vois que l’adolescent mis aux prises avec la carte s’y débrouille difficilement. Cela est sensible : ma présence l’inquiète vaguement, comme tous ses camarades. Je ne veux pas prolonger cette gêne, et je fais le geste de me retirer. D’ailleurs, l’heure de la sortie est arrivée. Sur un signe du moullah, toute la classe se lève, et, d’un air recueilli, ils entonnent l’hymne au Sultan. Le moullah