Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tout espoir, lorsque enfin, dans cette même Jérusalem, on m’offrit la satisfaction que j’avais vainement sollicitée ailleurs.

Spontanément, le directeur de l’École idadi me proposa de la visiter. Cet établissement s’intitule secondaire, bien qu’en réalité le niveau des études n’y dépasse pas le primaire supérieur, voire le simple primaire. S’il est plutôt médiocre, ce n’est peut-être pas la faute de celui qui le dirige. Musulman et Chypriote d’origine, ce fonctionnaire m’a paru bien plus cultivé, plus ouvert et plus libéral que la moyenne des fonctionnaires turcs. Il a étudié et professé dans son pays natal ; il y a appris l’anglais qu’il parle fort couramment et même il sait passablement le français. Désireux de se perfectionner dans la connaissance de notre langue, il emprunte des livres aux Dominicains de l’école Saint-Etienne, il assiste à leurs conférences. Quand nous causions ensemble, il s’interrompait fréquemment pour m’interroger sur le sens de certaines expressions. Puis il tirait de sa poche un dictionnaire, afin de se rendre compte si mes explications concordaient avec celles du livre. Un jour qu’il le feuilletait devant moi, j’aperçus, sur la page de garde, la célèbre formule de Gambetta transcrite en français : « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. »

— Pourquoi, lui dis-je, avez-vous recopié cette mauvaise phrase ? Il y en a tant d’autres, dans notre langue, qui sont plus honorables pour la France et pour vous !

— C’est, me dit-il, qu’elle m’a semblé très caractéristique ! J’eus beau protester contre cette galéjade, je sentis bien que

je n’avais pas convaincu mon interlocuteur. Dans le fond de son cœur, il soupçonnait la France entière d’être complice de cette tartufferie, qui, à l’intérieur, persécute la religion, mais qui, au dehors, voudrait l’employer à son service. Inutile de discuter ! Quant à lui arracher l’aveu de ce qu’il pensait lui-même sur la question si grave de la religion, considérée non pas en elle-même, mais comme une autre face du patriotisme, je ne le tentai même pas. Un Musulman peut vous faire les déclarations les plus radicalement libres penseuses, il réserve toujours, ou il évite de préciser son sentiment sur l’importance nationale et sociale de l’Islam. Cependant, sur tout le reste, il s’exprimait avec une réelle indépendance de jugement et s’évertuait à se montrer ultra-moderne.

Quand je me rappelle le cadre très archaïque où il vivait, je