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Damas, on me leurra, pendant quelques jours, de la promesse qu’une autorisation de visite me serait accordée. Puis, subitement, on ne m’en parla plus. Une allusion circonspecte me fit comprendre que l’entreprise était impossible. À Jérusalem, on me signala, à mots couverts, l’existence d’une Ecole normale de filles : il est trop évident que je n’y pouvais pas plus entrer que dans un harem. Mais, quand j’essayai d’obtenir au moins quelques renseignemens plus précis, on s’évada en propos incolores et l’on passa à un autre sujet. Je ne sus jamais où se trouvait cette école, et je finis même par me persuader que ce n’était pas la peine de chercher. À quelque temps de là, comme je causais avec un notable Musulman, je lui dis à brûle-pourpoint :

— Il paraît que, dans vos écoles normales de jeunes filles, on étudie Kant et Descartes !

Je venais de lire ce détail sensationnel et invraisemblable dans un livre français récemment paru, et je m’en servais comme d’une amorce. Mon interlocuteur s’imagina d’abord que je me moquais de lui, puis, s’étant assuré que j’étais de bonne foi, il haussa les épaules et changea de conversation.

Ceux qui se risquaient à desserrer les dents se répandaient en lamentations sur la nullité de l’enseignement dans les écoles officielles, sur le choix fâcheux du personnel. Aussi mal payés que les autres fonctionnaires turcs, nommés par recommandation, tenus en disgrâce sur un simple soupçon, les professeurs en arrivent à se désintéresser complètement de leur métier. Je conclus de ces doléances qu’on avait de bonnes raisons pour ne pas m’ouvrir toutes grandes les portes des écoles : on cachait sagement ce qu’il était préférable de ne pas montrer.

Parmi ces établissemens qui portent l’estampille gouvernementale, j’omets à dessein le lycée impérial de Galata, parce que c’est une école à part, qui a été fondée sur le modèle de nos lycées français et dont les professeurs sont étrangers. Certainement l’influence n’en peut être qu’excellente, et l’on s’en va répétant que les plus distingués d’entre les membres du parti jeune-turc ont été élevés sur ses bancs. Mais enfin, ce lycée ressemble trop aux collèges européens d’Orient. Or, en Turquie comme en Egypte, ce que je voulais voir, c’était l’initiative musulmane livrée à elle-même. L’immixtion européenne dans une école orientale en modifie immédiatement le caractère. J’allais renoncer