Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manqué jusqu’à ces derniers temps. Une éducation plus complète, des méthodes plus précises et plus positives transformeront, à la longue, la mentalité égyptienne. D’ailleurs, ceux qui espèrent en elle n’omettent point de rappeler qu’elle se rattache, en définitive, à la mentalité sémite.

Or, si les Juifs sont parvenus à s’assimiler nos littératures, nos sciences et nos philosophies, pourquoi les Egyptiens seraient-ils incapables de les imiter ? J’avoue que l’argument ne me paraît pas tout à fait péremptoire. Deux branches d’une même famille peuvent différer beaucoup comme intelligence, comme sensibilité et comme aptitudes. Je ne pense pas, en particulier, que l’Egyptien soit doué de la souplesse et de la vivacité intellectuelle du Juif. Un seul caractère commun les rapproche, à mon avis ; c’est une certaine façon toute pratique d’envisager le savoir, un certain terre à terre, une conception un peu plate de la vie et des choses. L’au-delà ne les tourmente point, et je crois bien que notre idéalisme leur est à jamais interdit. Un Musulman qui a perdu la foi, ou du moins qui se donne comme libre penseur, tombe généralement dans la négation grossière et ne voit pas de milieu entre la croyance aveugle et le matérialisme le plus épais.

Confessons-le tout de suite : ces objections n’ont de valeur que pour nous. Elles signifient que l’Oriental ne peut nous suivre que jusqu’à un certain point, de même que nous autres, quand nous essayons de le rejoindre et de le saisir dans les parties les plus intimes de sa nature, nous rencontrons bientôt le mur infranchissable. Il reste que les Egyptiens musulmans s’approprient de nos sciences et de nos découvertes tout ce qui est à leur convenance ou à leur portée. Déjà, beaucoup d’entre eux, grâce à une culture très étendue, peuvent entamer et soutenir la conversation avec nous. Ils ont peut-être plus fait pour nous comprendre que nous n’avons fait nous-mêmes. Ils prétendent que les couches profondes de la nation s’agitent à leur tour et s’éveillent à la vie intellectuelle. On ne veut plus se borner à passer des examens, à conquérir des diplômes, à être un simple bétail de concours et d’administration. Les nationalistes désirent faire de l’Egypte le foyer civilisateur, l’arche de science de tout l’Islam. Dans cette aventure, où ils se jettent si intrépidement, nous ne pouvons que leur offrir notre aide et leur souhaiter bonne chance.