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Non, je n’ai point perdu mon année en ces lieux,
Dans ce paisible exil mon âme s’est calmée ;
Une absente chérie, et toujours plus aimée,
A seule, en les fixant, épuré tous mes feux.

Et tandis que des pleurs mouillaient mes tristes yeux,
J’avais sous ma fenêtre, en avril embaumée.
De pruniers blanchissans la plaine clairsemée :
— Sans feuille, et rien que fleur, un verger gracieux !

J’avais vu bien des fois Mai, brillant de verdure.
Mais Avril m’avait fui dans sa tendre peinture.
Non, ce temps de l’exil, je ne l’ai point perdu !

Car ici j’ai vécu fidèle dans l’absence,
Amour ! et sans manquer au chagrin qui t’est dû.
J’ai vu la fleur d’Avril et rappris l’innocence.


Après avoir lu ces vers , Mme d’Arbouville écrivit à Sainte-Beuve :


Lyon, 10 juin.

« J’aime les sonnets, quand c’est vous qui les faites. Merci mille fois de celui-ci. Vous m’aurez donné le plus tard possible la bonne impression de... Bon ! je ne sais plus comment finir ma pensée, les mots en disent trop ou pas assez. Merci. Il m’a semblé retrouver un jour d’autrefois en lisant ces vers charmans.

« J’ai bien de la peine à ne pas manquer de courage. Mon état est pitoyable quoique la santé générale ne soit pas trop mauvaise. Il était trop tard, disent les médecins pour que le mal pût retourner en arrière. Il faut franchir des phases terribles. Y resterai-je ? les traverserai-je ? C’est là la question, that is the question, comme dit Hamlet. Jamais pauvre courage de femme n’a été misa plus rude épreuve. Plaignez et gardez affection. Mes médecins ont l’air d’espérer un peu. En vérité, je ne puis les croire. Adieu, au revoir, quand il plaira à Dieu, mais n’importe où et quand avec joie ! »


Ce fut sa dernière lettre, car je ne compte pas comme telle le petit billet qu’elle lui adressa au mois de juillet pour lui annoncer son brusque départ de Lyon. A partir de ce moment, la force lui manquant même pour écrire, elle passa la plume à sa tante d’Houdetot-Fleming qui l’avait ramenée à Paris. Et quand Sainte-Beuve l’y rejoignit, au mois d’août, il la trouva couchée