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cela, quoi qu’on ait fait pour me le cacher, a un peu attristé mon intérieur, et j’ai passé de ces jours pénibles, où personne ne parle du vrai sujet de ses pensées. Mon meilleur temps à Lyon aura été le temps que vous y avez passé. Je vous ai bien peu remercié. Ne me croyez pas ingrate. Mais j’évite maintenant tout ce qui m’attendrit. Je sens plus que je n’ai jamais senti. Et je me tais plus que jamais. Mes sentimens n’y perdent rien. C’est comme une essence dans un flacon fermé, le parfum n’en est que plus fort. Je n’ai aucune nouvelle de vous, et cela m’inquiète un peu, quoique, en vérité, je veuille croire qu’une bonne action ne saurait vous mal tourner. Oui, c’est une bonne action que d’être fidèle avec tout le charme de l’amitié aux amis qui ne tiennent plus sur la terre que la place que leurs pieds occupent sur le sol ! Car voilà où réduisent la souffrance et la certitude qu’on n’a pas d’avenir. On cesse d’exister suivant l’heure, et on diminue soi-même sa propre existence. Enfin je garde au nombre des choses douces de ma vie le souvenir de votre voyage à Lyon. Je ne sais rien de mes projets. Mon état est le même, sans douleur, mais s’aggravant inexorablement. Mon esprit est triste, mon cœur oppressé. M. de Laprade vient me voir, mais la glace n’est pas rompue, le cadre nous est contraire. Si je reste ici, nous nous accoutumerons l’un à l’autre. Notre souvenir est entre nous.

« Adieu, mari et frère vous envoient leurs amitiés. Une famille est comme un petit pays, et vous avez pris droit de citoyen dans ce pays de ma famille. »


La pauvre femme n’était pas au bout de ses souffrances. A la suite d’une nouvelle consultation de médecins, on lui avait conseillé de suivre un traitement hydrothérapique. Non qu’on espérât la guérir (on ne guérit pas d’un cancer à l’estomac), mais on pensait lui rendre ainsi la force, l’appétit et le sommeil. A peine avait-elle commencé ce nouveau traitement, que la guerre civile éclata à Lyon. Il faut l’entendre raconter à Sainte-Beuve les transes par lesquelles elle passa :


Ce jeudi, s. d.

« J’ai été si malade après les cruels événemens de Lyon, mon ami, que je n’ai pu vous écrire, et cependant je sais bien que vous aurez été inquiet. J’ai bien regretté de n’avoir pu vous