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du néant dans tout cela, et comme vous le dites, rien ne vaut la peine. — Mais il y a, au-dessus de tout cela, d’autres pensées, le frein est nécessaire à l’homme, n’importe ce qui le lui impose : son âme gagne par la compression, l’eau ne coule que resserrée et à l’étroit entre deux rives ; la vapeur n’a de force que comprimée ; l’âme, les passions, les goûts, les penchans ayant l’espace et la liberté, nous aurions Anacréon. Mais ni Millevoye, ni Lamartine (des Lamentations), ni Job, ni tous ceux qui nous ont fait pleurer !

« Adieu, merci ! »


Sainte-Beuve fit son vœu et ne fut pas exaucé. Quand, vers la fin de décembre, il vint à Paris pour voir sa chère malade, il la trouva tellement changée, qu’il hésita à retourner à Liège. Mais elle l’y obligea, disant qu’il ne fallait « pas trop ballotter sa vie ni trop déménager son âme. »

Cependant, au commencement du mois de février 1849, les médecins appelés en consultation déclarèrent unanimement qu’elle était « sans ressource et sans espérance. » Ce que voyant, sa famille désolée fut d’avis de l’envoyer tenter les eaux de Celles, dans l’Ardèche, où il y avait « deux maisons au milieu des crevasses de rochers et un charlatan qui traitait avec de l’or et de l’arsenic. »

« Je pars demain, écrivait-elle à Sainte-Beuve. Si vous étiez plus riche, ou si je l’étais davantage, je vous dirais : Venez dans cet affreux village quand vous serez libre. Mais c’est au bout de la France, et il n’y a que des maisons pour les baigneurs où tout est hors de prix. Attendez-moi donc. Quel que soit mon sort, je reviendrai à Paris au milieu des miens. »

Il n’attendit pas jusque-là. Comme elle tardait à revenir et que les eaux de Celles l’enraient complètement épuisée, il profita des vacances de Pâques pour, aller la voir à Lyon, où elle s’était réfugiée près de son mari.

« Ah ! mon Dieu, que j’ai souffert, écrivait-elle le 28 mars, et que mes jours heureux sont loin de moi ! Oui, oui, notre meilleur ami, c’est le passé. A Celles, j’ai vu mon état s’aggraver d’une manière affreuse, j’y étais seule, ne sachant quel parti prendre. Derrière moi je n’avais laissé aucun espoir de guérison. Fallait-il briser précipitamment cette dernière planche de salut ? Enfin le mal a été plus fort que tout raisonnement, et