Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a été grave. Ils ont déclaré l’opération impossible. Faite superficiellement, le mal reviendrait avant trois mois ; faite profondément, il y a péril de la vie. On a décidé l’impossibilité de cette ressource. En même temps on me déclarait plus mal, et la glande se développait ; — vous comprenez que cela fait un état grave. On a changé le traitement. On me donne une solution d’iode, de ciguë et de sel de potassium, mon estomac le supporte, c’est un miracle. Je ne sors pas le soir, du moins tant que ma tante est en haut ; quand elle quitte Paris, je vais une heure en chapeau et en schall chez les plus simples de mes amies. Je me couche à dix heures. J’ai à peine assez de vie pour la journée. Le matin, je me promène et je vais voir tous ces vivans qui comptent si bien sur leur avenir et qui y arriveront peut-être encore moins que moi ! A quatre heures je reviens au gîte. Je commence à lire, mais j’ai tous les jours du monde, des indifférens. On me témoigne de l’intérêt et je l’accepte avec douceur. Je détourne ma pensée de ceux qui ne sont pas ce qu’une amitié d’enfance devrait les faire être en ce moment. Je ne veux pas d’amertume : la tristesse, inévitable, n’est pas de l’amertume ; je veux bien les peines ; je ne veux pas le ressentiment. Je protège mon âme, qu’elle doive rester ou partir. Je ne veux pas qu’elle ait tout vu en ce monde. Oh ! qu’il serait triste de mourir sans regret ! — On est ici en politique mortellement effrayé. Si une planète devait, en décembre, rencontrer notre monde et le broyer, on ne serait pas en pire état ; — les deux chances nous apportent le mal, la guerre civile ou la république rouge. Voici le cercle dans lequel on tourne. La panique est au comble. Dieu se rira peut-être de tous ces effrois de fourmis. Le père de Clotilde[1] et Thiers se sont lancés ensemble dans le même sillon. Le premier a retrouvé vingt ans. Est-ce force ? est-ce faiblesse que cette ardeur des vieilles années pour les choses ambitieuses de ce monde ? Je suis portée à croire que la force s’approche plus du silence et du repos. Mme de Boigne dit que, quoi qu’il arrive, elle ne quittera plus son fauteuil. Son plus grand ennemi, dit-elle, est un catarrhe.

« Elle a demandé de vos nouvelles, mais elle est vieillie et éteinte. Plus ne lui est rien. Pourquoi ne lui écrivez-vous pas un mot ? Son salon reste désert. humanité ! — Oui, il y a bien

  1. M. Molé.