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Un peu rude à lire ! Ce ne fut sans doute pas le sentiment de Sainte-Beuve. On dit que les absens ont toujours tort. Combien c’est faux, du moins dans le cas qui nous occupe ! Jamais, au contraire, Mme d’Arbouville n’eut plus raison aux yeux de Sainte-Beuve que lorsqu’elle fut loin de lui. C’est au point que le sceptique teinté de matérialisme qu’il lui montrait depuis quelque temps, et qui l’avait blessée plus d’une fois avec ses doctrines ou ses boutades, se sentit reprendre, à son souvenir, par je ne sais quel sentiment religieux. On me dira que c’était de l’amour plutôt que de la religion. Et moi, je répondrai que c’était de l’un et de l’autre, — l’amour étant coutumier de ces sortes de miracles. Autrement, comment expliquer qu’à peine installé à Liège, Sainte-Beuve ait songé à faire un vœu pour la guérison de Mme d’Arbouville ? Un vœu ? oui, un vœu : le mot est écrit en toutes lettres dans la lettre que voici :


« Ce 17 novembre.

« Vous êtes vraiment bien aimable, au milieu de tout ce qu’il vous faut écrire, de vous fatiguer encore à m’envoyer d’aussi longues lettres. Je vous en prie, ne vous exterminez pas. Je suis bien touchée de votre idée de faire un vœu. Certes, si quelque chose pouvait fléchir cette puissance invisible, qui, je ne dirai pas, ordonne la mort de ses créatures, mais les laisse parcourir les chances mortelles de leur nature, quelle que soit l’heure où ces fatales chances arrivent, ce serait, dis-je, qu’une âme rebelle à la foi se tournât vers Dieu, et l’implorât. La guérison serait la réponse. Dieu aurait dit : « Je suis, » — et vous vous engageriez à le comprendre ainsi. Ne cherchez pas pour ce vœu des actes bien extraordinaires. Mon Dieu ! que sais-je ? Chaque soir fléchissez le genou, et dites seulement une fois : « Mon Dieu, guérissez-la ! » C’est l’heure à laquelle moi aussi je dis : « Mon Dieu, guérissez-moi ! » — Ce sera une communauté de pensées. Si Dieu exauce, vous et moi, nous nous en souviendrons, et nous le glorifierons de la seule manière digne de lui, par le Bien. Mais que vous êtes bon ! cette pensée d’un cœur vient de loin quand elle arrive à un esprit sceptique comme le vôtre. Merci. Maintenant, voici de mes nouvelles. Mes maux accessoires ont diminué. Plus de fièvre, ni de ces douleurs aiguës qui me décourageaient de vivre. Je ne suis plus en ce moment qu’aux prises avec le mal chronique. Mais là est le danger. Une dernière consultation