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maux tels que fièvre, etc., passeront, qu’il restera, il est vrai, le mal chronique, mais qui sait ? Dieu permettra peut-être qu’on puisse au moins lutter ! Puis, en fin de compte, l’homme est né pour souffrir et mourir. S’il l’oublie quelques jours, ce sont des jours de grâce. Il faut revenir à ce souvenir, je suis résignée, et je m’initie à cette triste science aimée par vous, de vivre au jour le jour, en détournant les yeux du lendemain. »


Puis, ce regard de compassion donné comme malgré elle à son état si misérable, elle se tournait vers celui qui l’occupait plus que tout au monde et elle lui disait :

« Enfin vous avez franchi le seuil, et vous voilà en route ! Vous allez être si bien sur votre terrain ! Votre plan me paraît plein d’intérêt. Les Liégeois ne se seront jamais vus à pareille fête. Je crois facilement à la science des peuples ennuyeux, mais vous allez leur révéler l’agrément. Amusez-les, ils en resteront ébahis. Les imbéciles ! ils ont sourcillé à ce mot sur M. de Lamartine[1]. Mais c’est le trait le plus spirituel du discours. Enfin j’ai lu avec grand intérêt et grande approbation. Vous avez bien raison sur le chancelier. Mais pour rencontrer les gens, il ne faut pas leur souhaiter trop de qualités. Le mérite sérieux appelle l’observation ; pour voir en passant, il faut des qualités et des défauts, faire un thé de Mme Gibou. Si vous n’avez pas vu cette folie, je vous parle hébreu. Quand j’allais encore, j’ai rencontré chez Mme de B(oigne] ce même regard persévérant, froid et scrutateur de M. Mérimée. Nous ne nous sommes rien dit. Xavier Marmier est moins peigné que jamais, plus insouciant encore et partant plus prodigue de phrases passionnées. Les Lebrun sont venus me chercher, ils sont à Passy dans une cellule, à la porte de Béranger. Ces gens-là me font envie ! Tous me parlent de vous et s’étonnent ! s’étonnent ! M. de Saint-Priest m’écrit : « Faites-le donc revenir ! » — Cela veut dire tout simplement qu’il se présentera pour remplacer M. Vatout et qu’il compte ses voix<ref> M. de Saint-Priest avait quelque droit de compter sur la voix de Sainte-Beuve, qui lui avait été d’un très grand secours quand il s’était porté lui-même à l’Académie. Je possède un petit billet de Sainte-Beuve à Ch. Labitte en date du 17 mars 1844, où il est dit : « M. de Saint-Priest m’y a aidé avec une grande obligeance et son tact diplomatique. »<ref>. M. Vatout ! ! ! O vanité des vanités ! Mort

  1. Je ne vois pas, en effet, ce qu’il y a de choquant dans ce mot de Sainte-Beuve sur Lamartine : « … le génie poétique d’un Lamartine, descendu un matin on ne sait d’où, et nous dirions volontiers du Ciel, s’il n’avait montré depuis combien il tenait à la terre. » Mais je ne vois pas davantage que le trait du Parthe, autrement dit l’allusion au rôle politique de Lamartine, fût le plus spirituel du discours d’ouverture de Sainte-Beuve.