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le regret. Croyez-le bien, quand le temps a tant passé sur une affection, il ne dépend guère de ceux qu’elle a laissés purs, de la rompre et de chercher ailleurs. Ce sont les remords qui brisent. Allez, je crois à votre plan de vie, mais quand il ne se maintiendrait pastel, j’aurais encore une place à part, un souvenir persévérant. J’ai été une des meilleures pages de votre vie. Ces pages-là ne se déchirent pas à volonté. Aimez donc de loin, souvenez-vous et travaillez. Les jours passent vite, et même ce que l’on désire arrive ! Nous nous retrouverons. Vous ne vous rappelez pas un humble vers de moi que Stella dit à son fiancé retrouvé :


Et j’efface le temps passé sans vous revoir ! »


Cette lettre nous laisse deviner tout ce qu’elle ne dit pas. Pour que cette âme si religieuse et si haute ait eu à pardonner, il fallait que Sainte-Beuve l’eût offensée cruellement. Mais l’amour est son propre médecin. Il suffisait à présent qu’il lui arrivât, sous une enveloppe timbrée de Belgique, un sourire, un regret, un simple mot jailli du cœur, pour que son mal en fût calmé. Et son mal était double. Le chagrin que lui avait causé le départ de l’ami se compliquait de souffrances physiques qui allaient en augmentant chaque jour.


« Ayant reçu vos deux journaux belges, lui mandait-elle le 10 novembre 1848, vous jugez si j’avais le désir de vous écrire et de causer avec vous. Mais, hélas ! jamais je n’ai eu des jours plus pénibles que ceux qui viennent de s’écouler. La fièvre m’est revenue, avec des douleurs aiguës, des maux de tête terribles. A travers tout cela une consultation de Cloquet et d’Emery me trouvant plus mal, croyant l’opération la seule chance de guérison et n’osant pas l’ordonner à cause de la santé et de ce qu’ils voient de l’état des nerfs. Alors on organise un traitement (de l’iode pur), mais la fièvre empêche qu’il ne puisse avoir lieu, et l’autre mal va son train. Comme dernier coup, mon mari est rappelé à Lyon. Il est parti hier, et me voilà seule, dans cette vaste et triste maison, malade, et n’ayant autour de moi que des drogues affreuses, ou l’imagination rêvant de bistouris. L’affection, ce remède universel, me manque en ce pénible moment. Ceux qui m’aiment le mieux sont tous absens. Mais enfin, de ce fond d’un puits où je me trouve aujourd’hui, je me dis que les