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imprimée toute vive, qu’elle écrivit à M. Buloz pour se plaindre d’un procédé dont elle ignorait les dessous.


III. — LES DERNIÈRES ANNÉES. L’ABSENCE, L’AGONIE, LA MORT

On sait de reste pour quel point d’honneur Sainte-Beuve quitta la bibliothèque Mazarine après la Révolution de Février, mais ce qu’on ignore, c’est que Mme d’Arbouville, qui se méfiait de ses coups de tête, fit l’impossible pour l’empêcher de donner sa démission :

« Je vous prie, lui écrivait-elle alors, et fais plus même, de ne faire aucune démarche pour donner votre démission avant de m’en avoir parlé. Je vous en demande votre parole d’honneur. Vous devez cela à votre meilleure amie. »

Sainte-Beuve ne pouvait pas refuser cette petite satisfaction à Mme d’Arbouville : il s’entretint donc de l’affaire avec elle, mais comme il ne savait « pas vaincre la contrariété, » comme il n’y avait pas d’amitié capable de l’arrêter, une fois qu’il avait pris un parti, il ne tint aucun compte de ses observations. Depuis longtemps, la bibliothèque Mazarine lui pesait lourdement sur les épaules, il n’attendait qu’une occasion pour se défaire de sa charge. L’occasion eut beau se présenter à lui sous la forme d’une accusation ridicule, il la saisit d’autant plus vite que les journées de Juin et tout ce qui s’ensuivit le fortifièrent dans le dessein qu’il avait déjà conçu de s’expatrier.

Le voilà parti pour Liège. Ce ne fut pas sans un profond chagrin de part et d’autre, et Mme d’Arbouville dut se faire violence pour ne pas trop montrer sa peine. Mais il l’avait tant irritée, tant affligée, dans les derniers temps, avec ses exigences toujours les mêmes, que la pauvre femme avait cru trouver dans la séparation momentanée le remède qui n’était, hélas ! que dans la mort.

Elle lui écrivait, le 15 octobre 1848, quelques jours après son départ :

« Je vous ai écrit hier, mais je reçois une lettre de vous qui m’a été au cœur et je cède à l’entrainement de vous le dire sous l’impression du premier moment. Mon ami, je sens votre tristesse, elle semble me rappeler quelque chose que j’ai senti. J’y reconnais ce vrai que j’aime. En la lisant, j’ai pardonné, j’ai effacé toute récrimination, j’ai été triste avec vous, comme si nous n’avions rien pu ni l’un ni l’autre pour nous épargner