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il y a de grosses différences, je ne m’amuse pas à les constater.

« Bonjour, monsieur, pardonnez-moi vite cette lettre dont je suis honteuse, ou, si vous voulez m’en réprimander, venez le faire de vive voix... »

Cette lettre était trop noble, le sentiment qui l’avait dictée était trop élevé, pour que Sainte-Beuve en voulût un seul instant à celle qui l’avait écrite. Il y a plus. Je viens de relire les pages éloquentes et attristées par où, en 1857, il terminait son histoire de Port-Royal, et il m’a semblé que, dans la forme, sinon dans le fond, il s’était souvenu du conseil de Mme d’Arbouville. Cela lui arriva plus d’une fois On lit dans ses Cahiers, à la page 146 :

« Mot charmant de Mme d’Arbouville dans une lettre (1848) :

« Eh bien, oui, votre ami l’abbé n’a pas répondu à mon rêve... nous en causerons, je ne me décourage pas. Qu’il y a de choses bonnes à côté de celles que nous aimons ! Il faut faire place en nous pour un certain contraire. »

« Quand je lus pour la première fois cette parole, ajoute Sainte-Beuve, je me dis : « Ce devrait être là la devise du critique étendu et intelligent. »

Tout cela donne à penser quelle place cette charmante femme aurait pu prendre dans la littérature, si elle avait été moins modeste ou si elle n’avait eu peur de passer pour un bas bleu !... Modeste, elle le fut à un degré invraisemblable. Nous avons vu qu’en 1843 elle avait publié un petit volume de nouvelles anonymes dont Ch. Labitte avait rendu compte dans la Revue des Deux Mondes. En 1847, ayant eu l’idée de réunir encore en volume, pour elle et quelques amis, les dernières nouvelles qu’elle avait composées, elle chargea Sainte-Beuve de lui trouver un imprimeur et « une main habile » pour faire toutes les corrections, ce travail lui cassant la tête. Le volume une fois imprimé, Sainte-Beuve, qui en avait été prié par le général d’Arbouville en cachette de sa femme, refusa d’en parler pour les mêmes raisons que précédemment[1], mais il le fit remettre à M. Buloz,

  1. Il opposa le même refus au général lors de la publication, en 1855, des œuvres complètes de Mme d’Arbouville.
    « Je vous remercie beaucoup, Monsieur, lui écrivait alors le général, de toutes les peines que vous avez bien voulu prendre à l’occasion de cette nouvelle publication, et je regrette vivement qu’il vous paraisse impossible de faire vous-même un article dans la Revue des Deux Mondes ; du reste, sans compliment, les lecteurs habituels de cette feuille en souffriront tout autant que moi.
    « Je vais suivre votre conseil et faire prier M. de Rémusat de se charger de l’article de la Revue des Deux Mondes.
    « Je verrais avec plaisir que vous prissiez la peine de prier M. de la Caussade d’écrire l’article de la Revue contemporaine, afin de conserver M. de Pontmartin pour l’article du journal l’Assemblée nationale.
    « M. Mérimée ferait un excellent effet dans le Moniteur, ainsi que M. Octave Lacroix dans le Constitutionnel. Entretenez donc, je vous prie, les bonnes dispositions de ces quatre écrivains, auxquels je ferai adresser un exemplaire de l’ouvrage, aussitôt qu’il paraîtra : à moins que vous ne me fassiez dire que leurs favorables dispositions sont changées.
    « Recevez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma haute considération.
    « D’ARBOUVILLE. »