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avait mis quelques arbustes en fleur. C’est là que j’ai passé deux heures. Il y avait une grande foule, mais dans un grand silence : tous les rangs confondus s’inclinaient devant la croix. Les pauvres gens venaient avec de tout petits enfans dans les bras, qu’ils n’avaient pu laisser au logis où ils n’ont pas de domestiques. Toutes les physionomies que je regardais étaient graves. On priait des lèvres. Je ne sais ce qui se passait dans la rue, mais dans ce petit coin d’église, il y avait du silence, de l’obscurité, du calme et de la foi ; — aucun office ne s’y disait, aucun sermon ne s’y prêchait, chacun était livré à soi-même.

« On n’entendait que la voix d’un prêtre qui disait à la partie de la foule circulante : « Passez ! » Ce mot était frappant, revenant sans cesse au milieu du silence ; ah ! oui, nous passons ! bien vite, bien rapidement. Moi, je restais, et une parole de l’Evangile m’est revenue à l’esprit : « Je vous donne la paix ! » Le Christ a dit vrai. Si le bonheur, si les joies ne nous viennent pas du calme austère de la religion, la paix est là, la paix résignée, la paix après le sacrifice, la paix, non parce que l’on ne sent rien, mais la paix venant au-dessus de ce que l’on sent ! Je suis sérieusement rentrée en moi-même, je me suis examinée sous le jour du jugement de ma conscience, après. J’ai cherché le vrai. Ce que j’ai cru voir alors, sont de ces pensées intimes que rien ne doit redire, mais une voix s’élevait en moi pour m’inspirer une immense compassion, une immense sympathie, un grand désir d’arriver à consoler. J’ai demandé avec larmes à Dieu de donner au cœur de mes amis deux croyances : l’immortalité de l’âme, et l’existence de Dieu. J’ai demandé aux larmes d’arracher de ces mêmes choses l’amertume, le vide, le désordre des pensées. Oh ! si vous eussiez été là auprès de moi dans cette chapelle, dans ce silence, dans cette obscurité, au pied de ce tombeau, dans ce grand calme, si j’avais pu vous regarder au moment où mes larmes coulaient, je crois que votre cœur aurait senti aussi un peu de l’émotion qui vient de la foi. — Ah ! monsieur, vous soumettez votre croyance à votre raisonnement, et jamais à votre cœur ! il est des choses qu’il faut comprendre par l’émotion. Esprit borné, nous voulons analyser l’infini, et quand notre vue myope ne perce pas les nuages, nous nous drapons avec orgueil et sécurité dans notre aveuglement, comme César dans son manteau pour mourir ! Ah ! venez donc être ému, un jour ! cela tue tous les raisonnemens !