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heures ? De tout, de littérature, de religion, de politique. Mais la politique n’allait qu’à moitié à Mme d’Arbouville. « Ne laissons pas la politique, disait-elle à Sainte-Beuve, se mettre en travers des impressions douces de nos cœurs, les seules consolantes. Ne la laissons pas nous empêcher de sentir que nous nous sommes chers les uns aux autres. »

Elle préférait le voir mettre la conversation sur des poètes comme Théocrite, Chénier, Musset, Lamartine.

Ils n’étaient cependant pas toujours d’accord dans leurs admirations.

« Voici Agnès de Méranie, lui écrivait-elle en 1847, peu de temps après la représentation de cette pièce, ne nous querellons pas sur la littérature. Il y aurait plus de mal que de profit. Je vous pardonne de me dire que j’ai des jugemens vulgaires, puisque vous l’avez pensé[1]. Votre amitié a le droit de la vérité, mais je regrette de vous l’avoir fait penser. Adieu, à revoir, et ne parlons plus Ponsard et Musset. Tous les chemins sont bons qui mènent à Rome, et nous les verrons tous les deux à l’Académie. »

Mme d’Arbouville ne redoutait pas la querelle sur les questions religieuses, et depuis que Sainte-Beuve avait coupé derrière lui le pont qui le rattachait à l’Eglise, elle ne perdait aucune occasion de lui faire honte de cet acte impie, — au risque d’encourir sa colère. Elle lui écrivait un jour :


4 heures.

Ce Vendredi-Saint.

« Le souvenir de vos paroles amères contre moi, et surtout contre les plus graves croyances, m’est tellement resté dans le cœur que, revenant de l’église, je ne sais quel instinct me pousse à vous écrire. Vous ne m’en voudrez pas d’y céder. Cela m’est une douceur. Mon cœur recueilli et ému se tourne vers vous, si loin de ce recueillement-là ! — et sans espoir de vous rien faire partager, il me faut vous écrire.

« Il y a au fond de Saint-Roch la chapelle du Sépulcre. Il y fait complètement obscur. On n’y voit que par la faible clarté dos petits cierges que les fidèles allument autour du tombeau du Christ. Le tombeau est creusé dans le roc. Aujourd’hui on y

  1. Il ne pensait pas toujours ainsi et il était beaucoup plus dans le vrai, quand il avait « la bonté de lui reconnaître ou de lui supposer un je ne sais quoi artiste. » (Lettre de Mme d’Arbouville, du 22 septembre 1846.)