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Et comme si elle avait redouté de n’être pas assez forte, elle se décide tout à coup à se retirer auprès de son mari, qui commandait l’armée de Lyon.

« J’ai pu si peu causer avec vous hier, et, dans ces jours agités, je sais si peu quand on pourra en paix échanger une pensée, que je vous écris quelques mots en m’éveillant. Je suis fort triste de partir. Je ne regrette à Paris que vous ; quoi que vous en disiez, mon cœur a pris de douces habitudes, des liens qu’il sent et dont il peut souffrir. Dans ce moment où tout croule, on se réfugie dans la solidité du cœur, et je me tourne vers votre amitié. N’ajoutez pas à mes peines, retirez des paroles comme celles-ci : Je suis bien libre à présent, bien dégage, je puis faire tout ce que je veux. En quoi les secousses et les tristesses d’une destinée amie vous donnent-elles la liberté d’ajouter à ses maux ? — En quoi, de ce que je suis moins heureuse, trouvez-vous le droit d’amoindrir votre affection ? — Pourquoi retirer à mon chagrin le seul soutien de tout chagrin, compter sur un ami ? C’est mal.

« J’espère que tout ceci ne sera pas aussi grave que cela semble l’être. J’espère que c’est une courte absence (il n’y a pas de courte absence), mais une absence comme celle de tous les étés. Si la guerre éclate, je reviens ; si elle n’éclate pas, les corps seront licenciés.

« Ne me faites pas encore la peine d’attribuer à de mesquines et pitoyables considérations la résolution que j’ai prise. Laissez des motifs sérieux aux choses sérieuses. Je quitte vous, pays, maison, entourage, je mets à une épreuve bien forte une santé attaquée, et vous ne cherchez que dans d’étroites pensées mon but et mon motif. Que votre amitié soit plus juste envers moi, je vous en prie. Ne mettons pas l’absence sur un malentendu. Serrons-nous la main et donnez-moi l’appui de votre dévouement.

« J’ignore notre avenir à tous, mais vous savez bien, n’est-ce pas ? que, si le malheur vous atteint, c’est près de nous qu’il faut venir chercher refuge. »


Cette allusion discrète et touchante à la mort de sa mère fit plus que tout le reste pour désarmer Sainte-Beuve.

Quelques jours après, — le 14 octobre 1848, — Mme d’Arbouville lui écrivait l’admirable lettre que voici :

« Vous m’avez écrit une bonne et sérieuse lettre. Je vous en