Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Champlâtreux, ce 11 septembre (1846).

« Je vous remercie mille fois de votre petit billet. Il m’a été une douce, une heureuse surprise. J’ai commencé par une foi complète, entière de votre amitié, et j’éprouvais cette sécurité qu’inspirent les biens appréciés et que l’on croit bien à soi. Mais depuis quelque temps les nombreux orages ont mis dans mon esprit l’inquiétude de voir se rompre cette amitié précieuse, — et j’ai dans mon cœur une grande tristesse à votre égard. Il me semble que rien ne doit ou ne peut résister à tant de secousses, à moins qu’il n’y ait des cœurs qui vivent d’ouragans, comme moi, je vivrais de sécurité, de confiance, d’habitude et de repos. Mais non, vous souffrez de vos impressions et de votre caractère. Voilà ce qui affecte le plus. Oh ! si vous pouviez donner la paix avec tout ce que votre âme a de richesses ! Vous seriez heureux et vos amis aussi ! et le bonheur n’est pas de ce monde ! Approchez-en le plus que vous pourrez, je serai fière d’y contribuer. — Merci encore de vos quelques lignes dévouées. Elles renouent.

« Champlâtreux est très beau, bien calme, bien solitaire jusqu’à présent. Il vous désire et voudrait vous espérer. On vous le dira. Je ne sais ce qu’il y aura à attendre. Je sais bien ce que je souhaite : adieu !

« Mille remerciemens, mille oublis de tout ce qui froisse. Mille amitiés dévouées. A bientôt pour causer. »


Hélas ! sur ce terrain-là, les causeries avec Sainte-Beuve n’allaient jamais sans quelque froissement.


« Nous nous sommes médiocrement quittés l’autre jour, lui écrivait-elle au mois de décembre 1846 ; vous me mettez toujours en colère, monsieur, quand vous dites ces choses-là. Il y a, dans ma colère, regret, amitié pour vous, mais enfin il y a colère ! Ménagez donc mes faiblesses, et vous qui savez être si aimable sur tous les sujets, ne me rendez pas malheureuse par le choix de celui-là. Vous ai-je fâché l’autre jour ? Je n’en sais plus rien. J’espère que non ; en tout cas, ce petit mot est pour rétablir la paix. Je vous dis mille amitiés et compte vous voir bientôt. »


Avez-vous remarqué que, dans ce petit billet, Mme d’Arbouville dit à Sainte-Beuve : « Monsieur ? » N’allez pas en conclure