Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous n’avez pas de but à votre vie ? C’est blasphémer tout ce qui sent en vous. Pourquoi faire de toutes vos affections un marché dont vous stipulez d’avance le contrat ? Vous le voulez à votre profit, et si les pièces d’orque vous donnez ne vous sont pas rendues en même nombre et en même qualité, vous repoussez toutes choses : vous feriez croire que vous n’avez nulle générosité dans le caractère, si l’on ne vous connaissait pas d’ailleurs. Le propre des affections touchantes, c’est qu’elles durent à travers les différences, avec abnégation et dévouement. Elles se font leur place bien plus pour ce qu’elles donnent que par ce qu’elles demandent. Vous avez besoin d’une direction morale. Eh bien ! où est l’obstacle ? Quand vous venez, votre présence n’est-elle pas un plaisir ? Quand vous donnez votre confiance, n’est-elle pas reçue avec reconnaissance, et jamais trahie en nulle occasion ? Quand vous demandez un conseil, n’est-il pas donné en vue de votre intérêt, — et pesé, — et discuté avec vous ? Quand on parle d’avenir, ne compte-t-on pas sur votre amitié comme sur une des meilleures choses réservées à l’avenir ? A-t-on jamais manqué de sérieux, de suite dans tout ce qui vous regarde ? N’a-t-on pas mille fois accepté votre dévouement, et dit de quel prix, il était, et quelle reconnaissance il inspirait ? Ne dites pas que vous n’avez pas de but à votre vie, car s’il vous était doux de donner votre amitié, il serait doux de la recevoir. Tout ce qu’il est sérieusement possible de donner, vous est donné, et là où vous ne voyez pas une issue, pas une éclaircie possibles, il y a une route facile, et un jour serein. Je vous en prie, résignez-vous à quelques tristesses pour conserver quelques joies. C’est notre loi à tous sans exception aucune. Ne changez pas en amertume pour moi le bien si rare d’avoir un ami véritable. Essayez d’un bonheur, en dessous sans doute de celui que vous avez rêvé, mais bonheur encore, si vos regrets ont de la douceur et votre affection de la générosité... »


Quelle délicatesse et quelle franchise d’accent ! Quelle noblesse d’âme ! « Tout ce qu’il est sérieusement possible de donner vous est donné. » Comment, après avoir lu cela, peut-on demander davantage ? Sainte-Beuve semble en avoir été touché, car, à quelques jours de là, Mme d’Arbouville lui écrivait encore :