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en a quelques-unes qu’on dirait être du même temps, ce qui prouve que le sujet de cette discussion ne fut jamais entre eux complètement épuisé. Les voici :


S. d. 7 h. du matin.

« Je vous écris trois mots à la hâte avant l’office. Je vous remercie de votre lettre. Du moins sous les reproches et le ressentiment, elle laisse entrevoir un peu d’affection. Je vous comprends. Mais comprenez-moi aussi avec douceur. Vous n’êtes pas sur moi dans la nuance vraie ; oui, j’aime le bien et ai besoin du bien autour de moi, mais c’est sans rien d’austère, cela laisse toute place à la sympathie, à l’affection, à l’intérêt, presque au regret. Je ne suis pas cet être froid et inébranlable que vous rêvez, mais simplement un cœur pur, triste, rêveur, souvent ému et si découragé dès sa jeunesse, qu’il n’a demandé à la vie d’autre bonheur que le repos, une certaine élévation de sentimens, une certaine droiture qui console et soutient. Mes amis sont mon seul bonheur. Vous savez quelle place vous avez parmi eux. J’ai prié Dieu pour vous, et il me semble qu’il vous enverra, si ce n’est joie et bonheur, du moins un peu de sérénité et le sentiment qui fait qu’on tient à ses amis et qu’on ne songe pas à s’en séparer, — le sentiment qui fait qu’on pardonne au lieu de s’aigrir, le sentiment qui rapproche les cœurs et fonde les solides amitiés de la fin de la vie. — Merci. »


Champlâtreux, ce 9 novembre (1846).

« Votre lettre m’a fait beaucoup de peine. C’est pour moi un chagrin sérieux que de vous entendre dire que vous êtes malheureux. C’est pour moi d’autant plus un chagrin, que je sens qu’il n’en devrait pas être ainsi. C’est une œuvre d’amertume dont vous êtes vous-même l’auteur, les circonstances ne s’y prêtant pas. C’est peut-être ce qui m’a portée, avec une franchise dont je fais excuse, à vous montrer les coins de votre caractère qui faisaient obstacle au repos et à la douceur de vos pensées. Si vous m’eussiez entendue parler de vous à d’autres, vous eussiez vu que je connais bien les qualités précieuses qui vous distinguent. Malheureusement, vos qualités sont pour les autres. Les inconvéniens de votre caractère sont pour vous et nuisent à votre bonheur. Voilà comment ils atteignent vos amis. Comment, avec le dévouement que vous avez dans le cœur, dire que