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recommandant bien de ne pas nommer l’auteur qui désirait rester voilé. « Les affections bien vraies, écrivait-il alors à Juste Olivier, ont leur pudeur et craignent d’en trop dire devant tous. » Aussi, à la Revue des Deux Mondes, avait-il passé la plume à Charles Labitte qui, pour plus de précaution, afin de ne pas le trahir, avait signé l’article du pseudonyme de Lagenevais[1].

Tant d’égards et de délicatesse, s’ajoutant à mille prévenances, avaient touché Mme d’Arbouville au bon endroit. Mais il y a mieux. La même année, après avoir passé au Marais et à Champlâtreux une partie de l’été auprès d’elle, il l’avait couchée sur son testament. Soit qu’il se sentît malade ou qu’il fût dégoûté de la vie, il avait pris, — au mois de décembre 1843, — toutes ses dispositions en vue de la mort. Et il avait légué par testament à Mme d’Arbouville quelques-uns de ses livres préférés, dont l’Imitation de Jésus-Christ et un exemplaire de la Valérie de Mme de Krüdner, — le sacré et le profane ! Le sut-elle ? Je ne pourrais le dire ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle eut communication à ce moment du Livre d’amour qu’il avait fait imprimer en cachette et en petit nombre, voulant que ce mauvais livre lui survécût, et qu’après l’avoir lu, elle le lui rendit avec ces simples mots : « Pourquoi n’êtes-vous pas resté sur les Consolations ? »

C’était lui dire : Si vous avez cru par cette lecture exciter ma jalousie, vous vous êtes trompé ! Et, en effet, rien ne devait avoir raison de sa vertu. Cela n’empêcha pas Sainte-Beuve de lui livrer un combat en règle dont on trouvera quelques échos dans le Clou d’or.

Plus d’un, j’en suis certain, s’étonnera que Mme d’Arbouville n’ait pas coupé court à cette correspondance en tirant sa révérence à Sainte-Beuve. Assurément, elle aurait pu le faire sans passer pour trop susceptible ; mais, en amour, les choses qui paraissent aux autres les plus dures ne sont pas toujours les plus désagréables aux intéressés. Et la femme qui les reçoit en plein visage, pourvu qu’elle ait un peu d’esprit, et le cœur tendre, au lieu de s’en fâcher, se contente ordinairement d’en sourire, — ou d’en pleurer. C’est ce que semble avoir fait Mme d’Arbouville. Nous n’avons pas ses réponses aux lettres du Clou d’or, mais dans celles qu’elle adressa postérieurement à Sainte-Beuve, il y

  1. Cet article parut dans la livraison du 15 mai 1843 de la Revue des Deux Mondes.