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REVUE DES DEUX MONDES.

Edouard VII et Guillaume II se rencontrent à Cronberg et à Wilhelmshöhe : mais aucun rapprochement n’en résulte. La crise marocaine a opposé deux groupemens l’un à l’autre : ils demeurent face à face avec le visible souci de se prémunir en vue d’une alerte nouvelle. D’un côté, ce sont les successives visites de Guillaume II en Autriche (1936), du baron d’Ehrenthal à Berlin (1907), de M. de Tschirschky à Vienne et à Rome (1907), du prince de Bülow à Rapallo (1907), toniques administrés à la Triple alliance. De l’autre, c’est une série d’arrangemens destinés à mettre une harmonie plus grande dans les combinaisons antérieures : d’abord, les accords russo-japonais et franco-japonais (juin-août 1907), qui conjurent en Asie les risques de guerre dont nous avions souffert en 1904 ; les accords franco-espagnol et anglo-espagnol, qui précisent dans la Méditerranée l’entente des puissances occidentales (mai 1907) ; l’accord anglo-russe, qui épargne à notre pays l’hypothèse d’une redoutable option et scelle l’anneau décisif dans la chaîne des combinaisons d’équilibre (août 1907). Militairement, l’Allemagne et son système demeurent ce qu’ils étaient en regard du système opposé ; mais, diplomatiquement, la balance arrive à l’équilibre stable par le développement de ce dernier.

Le prince de Bülow, à la fin de 1906, en convient par le soin qu’il met à ne discuter aucune des alliances, aucune des ententes existantes[1]. À ce changement de ton, on mesure le changement de situation. Autant, en 1903, le chancelier avait le jeu facile au sein d’une Europe divisée, autant son action est désormais limitée par l’organisation politique qui s’est constituée d’autre part. Lisez son discours sur la conférence de la Haye[2] : vous y verrez avec quelle prudence attentive il conseille à l’Allemagne de concentrer ses forces et de se réserver. Après le rêve d’action mondiale poursuivi de 1897 à 1903, après l’effort d’hégémonie continentale tenté de 1904 à 1906, l’heure est venue de jouer, d’égal à égal, la partie diplomatique.

III

Le prince de Bülow comprend la portée de ce changement. Maître absolu de la politique allemande, il la ramènerait sans

  1. Reichstag, 14 novembre 1906.
  2. Ibid., 30 avril 1907.