terposer. S’agit-il de menacer ? La présence de l’Europe permet de conjurer l’effet de la menace en la rendant publique : elle augmente notre sang-froid et diminue nos risques. Enfin les concessions consenties par la France depuis dix mois, l’esprit de transaction dont elle a fait preuve et qui ne se démentira pas, mettent à nu le fond même de la politique allemande. Les puissances, convoquées pour parler Maroc, ont tôt fait de comprendre qu’il s’agit d’autre chose. L’intransigeance de l’Allemagne dévoile l’arrière-pensée de domination qui l’anime. Derrière « l’occasion » marocaine, on discerne le but mondial. Et cela suffit pour que les spectateurs de ce duel, — fût-ce les moins favorables à notre cause, — aperçoivent l’intérêt européen qui s’attache à ne pas laisser diminuer la France, en qui les circonstances incarnent le principe de l’autonomie diplomatique et de l’équilibre européen.
Les terrains faux déterminent les fausses manœuvres. Le chancelier, par son erreur initiale sur les conditions de la lutte, est entraîné à de maladroites initiatives. Sa virtuosité même le dessert par la multiplicité des solutions qu’elle lui suggère et qui toutes révèlent son indifférence pour l’objet local du débat[1]. Ses efforts répétés pour détacher de la France un jour la Russie, un jour l’Espagne, aujourd’hui l’Italie, demain les États-Unis, accusent sa volonté de nous réduire à la solitude. Sa promptitude à accepter les combinaisons les plus contradictoires, pourvu que notre pays en fasse les frais, ruine en quelques semaines le crédit de ses agens. Quand, après la crise ministérielle française, il revient sur les concessions de la veille et de nouveau se porte à l’assaut, il ne réussit qu’à réchauffer les fidélités qui nous assistent. Sa circulaire du 12 mars, proclamant l’isolement de la France, provoque des répliques où s’affirme la sûreté des concours qui nous sont acquis. Ses lettres pressantes au comte Witte, ses sommations à Rome et à Madrid, les télégrammes de l’Empereur à M. Roosevelt, interdisent l’abstention à ceux mêmes qu’elle eût tentés. La seule fois que les plénipotentiaires votent, la France a neuf voix pour elle, l’Allemagne deux. L’opinion européenne, — que l’Allemagne a conviée au débat, — nous est manifestement bienveillante. L’Allemagne le comprend. Le 20 mars, nos propositions sont acceptées à Berlin.
- ↑ Voyez notre ouvrage la Conférence d’Algésiras.