Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
LE PRINCE DE BÜLOW.

tage et rempli son dessein. L’opposition l’a accusé d’avoir laissé isoler et diminuer l’Allemagne : il réplique en soumettant la France et l’Europe tout entière aux méthodes arrêtées par l’Allemagne. Il lui a suffi d’agir à Fez pour empêcher l’exécution du traité franco-anglais et du traité franco-espagnol, de menacer à Paris pour écarter un ministre que, pendant sept années, le Parlement français a soutenu de sa confiance. L’alliance franco-russe est demeurée impuissante : on s’y attendait. Mais l’entente franco-anglaise n’a pas fait meilleure figure. M. Delcassé, en octobre 1905[1], a laissé filtrer des renseignemens sur le concours militaire que l’Angleterre lui avait promis ; mais il s’est heurté à un scepticisme général. De nos accords avec l’Italie et l’Espagne, il n’a même pas été question. Sans doute, par l’habile rédaction des accords de juillet et de septembre 1905, M. Rouvier et M. Révoil ont réservé l’avenir et préparé des argumens pour la discussion prochaine ; mais, dans le présent, nous sommes vaincus. Le prince de Bülow voulait un succès de politique générale : il l’a. Dans ses discours[2], comme dans ses conversations, il en jouit courtoisement, mais non sans hauteur. Il fait sentir à la France la profondeur de sa chute : « Il faut, déclare-t-il, que l’on se rende bien compte à Paris que la politique qui tendait à isoler l’Allemagne est chose du passé ; que cette route d’hier est aujourd’hui abandonnée sans retour[3]. » Il parle en maître, que son autorité reconnue achemine à l’indulgence. Il attend de la conférence la confirmation de son triomphe par l’échec des propositions françaises et l’adoption des solutions allemandes.

Comment cet espoir est il déçu ? Comment le triomphe escompté se tourne-t-il en déception ? Bien des raisons l’expliquent, que le chancelier a le tort de ne pas apprécier à leur valeur. D’abord, pour continuer la politique de bluff qui a si bien réussi jusqu’alors, le cadre de la conférence est moins favorable que le tête-à-tête de l’année précédente. S’agit-il de provoquer une rupture avec toutes ses conséquences ? il est trop tard, car la France s’est armée[4], la Russie a fait la paix (août 1905), et d’ailleurs trop d’intermédiaires sont prêts à s’in-

  1. Le Matin, octobre 1905.
  2. Reichstag, 6-13 décembre 1905.
  3. Le Temps, 5 octobre 1905.
  4. Les crédits extraordinaires pour l’armée avaient dépassé en six mois 230 millions.