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REVUE DES DEUX MONDES.

Orient. L’occupation de Kiao-Tchéou par l’Allemagne l’a conduite à occuper elle-même Port-Arthur, initiative contraire aux méthodes traditionnelles de sa politique chinoise. L’alliance anglo-japonaise et la vaine déclaration franco-russe, qui lui a oppose un semblant de réponse, ont grevé ses ambitions d’une hypothèque nouvelle (janvier-mars 1902). Elle ne compte plus que pour mémoire dans la balance du vieux monde. Et c’est assez pour l’Allemagne de la tenir en confiance par des prévenances habiles. Guillaume II et Nicolas II se rencontrent deux fois en 1897, une fois en 1899, une fois en 1901, une fois en 1902. Pendant un séjour à Posen, cette même année, l’Empereur, en recevant des officiers russes, leur parle de la confraternité d’armes des deux armées. La concordance des ambitions russes et des desseins allemands annihile la force que l’alliance de 1891 avait associée à la nôtre. L’Alliance franco-russe faussée et dévoyée est sans action sur l’Europe.

La France au surplus n’a pas à cette époque le goût de la politique extérieure. De 1897 à 1903, ce sont des années de lutte civile, de déchiremens atroces. C’est l’affaire Dreyfus, la persécution religieuse, les fiches, le règne de M. Jaurès, période de stérilité où, par l’effet des circonstances, les convictions les plus sincères se mettent au service des partis de subversion nationale et sociale. D’ailleurs, ne sommes-nous pas, au lendemain de Fachoda, voués, par haine de l’Angleterre, à l’indulgence envers l’Allemagne ? L’Allemagne le sait et nous paye de mots. Des démarches courtoises, d’ailleurs pleines de tact, nous tiennent en repos. L’incendie du bazar de la Charité (1897), la perte du Transatlantique la Bourgogne (1898), la mort de Félix Faure (1899), la catastrophe de la Martinique (1902), la visite de Guillaume II abord du vaisseau-école Iphigénie (1899), le voyage à Berlin du général Donnai (1901) sont autant d’occasions de rapprochemens courtois. L’abolition en Alsace-Lorraine du paragraphe de la dictature accentue la détente. M. de Bülow la constate avec satisfaction. « Avec la France, dit-il, nous nous sommes jusqu’ici pour toutes les affaires coloniales toujours aisément et toujours volontiers mis d’accord[1]. » Ou encore : « Entre la France et l’Allemagne, il n’y a, pas plus en Extrême-Orient que sur la plupart des points du monde, de conflit réel d’intérêt[2]. »

  1. Reichstag, 11 décembre 1899.
  2. Ibid., 15 mars 1901.