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protectorat des missions. C’est plus qu’il n’en faut pour armer « le poing ganté de fer. » En novembre, avant toute négociation, l’escadre allemande d’Extrême-Orient occupe la baie de Kiao-Tchéou. Le 19 du même mois, le croiseur Kaiserin Augusta est envoyé de Crète en Chine. Le 23, le prince Henri de Prusse est appelé au commandement d’une seconde division navale dont on accélère le départ. Dès ce moment, la campagne de Chine est un argument décisif pour le vote de la loi navale. En ouvrant la session du Reichstag, l’Empereur, contrairement à l’usage, fait suivre la lecture du discours du trône d’une vibrante improvisation : « Messieurs, dit-il d’une voix grave, au nom du Dieu tout-puissant, en mémoire du grand empereur, je vous adjure de me mettre en état de tenir mon serment, de m’aider à maintenir puissamment au dehors le prestige de l’Empire, pour lequel je n’ai pas hésité à exposer mon propre frère[1]. » Le 15 décembre, le prince Henri s’embarque, non sans s’être engagé à porter au loin « l’Évangile de la personne sacrée de Sa Majesté. » Le 5 janvier 1898, la Chine effrayée cède à bail à l’Allemagne Kiao-Tchéou et ses environs. Le 28 mars suivant, le programme naval est voté en troisième lecture. Ce sont dons de joyeux avènement que le baron de Biilow apporte à son souverain.

On ne songe pas d’ailleurs à masquer le grand dessein de « l’ère nouvelle, » à réduire à de simples représailles les opérations de Chine. Le ministre des Affaires étrangères livre au Reichstag le fond de sa pensée : « L’envoi de notre escadre à Kiao-Tchéou n’était, dit-il, à aucun degré une improvisation. C’était le résultat de mûres réflexions… Nous étions depuis longtemps convaincus que nous avions besoin en Extrême-Orient d’une base territoriale. Faute de cette base, nous fussions restés en l’air au point de vue économique, naval et politique[2]. » C’est donc un établissement durable que l’Allemagne a entendu créer. Sur d’autres points, elle procède autrement. En Turquie, par exemple, elle refuse de s’associer aux démarches collectives tentées par les puissances auprès du Sultan en faveur de la Crète. Et, le 12 octobre 1898, Guillaume II, par un voyage solennel à Constantinople et en Palestine, confirme en personne des promesses dont il a fixé par

  1. Reichstag, 30 novembre 1897.
  2. Ibid., 8 février 1898.