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LE PRINCE DE BÜLOW.

arriver à latête du mouvement industriel et évincer ses rivaux[1]. » L’acceptation du fait nouveau que constitue l’alliance franco-russe, la restriction qu’il apporte à l’hégémonie européenne sont donc compensées par l’espoir d’une plus ample prépondérance. Les cadres de la politique traditionnelle deviennent trop étroits désormais pour l’essor de l’aigle impérial prêt à s’envoler sur le monde.

M. de Bülow accepte le fait accompli et se résigne à l’alliance franco-russe en se réservant de l’utiliser, comme en 1895, après les victoires japonaises[2]. Le théâtre qu’il aborde le lui permet ; car son regard embrasse un vaste horizon : « Comme les Anglais, comme les Français, comme les Russes, nous prétendons, dit-il, à la plus grande Allemagne. Nous ne nous laisserons pas ravir l’égalité avec d’autres puissances. Nous ne nous laisserons pas contester le droit de parler comme elles dans le monde. Il fut un temps où l’Allemagne n’était qu’une expression géographique, où on lui refusait le nom de grande puissance. Depuis lors nous sommes devenus une grande puissance et, avec l’aide de Dieu, nous espérons le rester. Nous ne permettrons pas qu’on abolisse ou qu’on limite le droit que nous avons à une politique mondiale réfléchie et raisonnée[3]. » Ce que sera cette politique, M. de Bülow va nous le dire : « Si vous entendez par politique mondiale une tendance à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas, alors je suis l’adversaire résolu de cette politique. Au contraire, c’est un fait qui s’impose aux esprits sérieux et compétens que nous avons acquis de grands intérêts outre-mer. C’est dans ce sens que j’ai dit, il y a trois ans, et que je répète aujourd’hui, que nous voulons avoir notre place au soleil, que nous voulons garder cette place, que nous ne nous laisserons pas rejeter dans l’ombre[4]. » Tel est le programme. Voyons les actes.

Ces actes ne tardent guère à se développer. À l’automne de 1897, un incident secondaire offre l’occasion, aussitôt saisie. Deux missionnaires allemands ont été assassinés en Chine dans la province du Chantoung où l’Allemagne exerce avec zèle le

  1. Victor Bérard, l’Impérialisme anglais.
  2. Une triple action russo-franco-allemande obligea alors le Japon à rendre à la Chine une large part de ce qu’il lui avait pris.
  3. Reichstag, 19 novembre 1900.
  4. Ibid., 15 mars 1901.