Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gravité, — moins en soi-même que comme symptôme, — de cette « guerre des farines, » encore si mal connue. Ce n’est pas seulement, comme la Fronde, un soulèvement provoqué et conduit par quelques grands seigneurs, qui veulent forcer la main au Roi pour lui faire changer un ministre. Rien de pareil non plus aux petites séditions locales, si fréquentes sous l’ancien régime, suscitées par la faim et la misère du peuple. Pour la première fois, dans l’histoire de la monarchie bourbonienne, apparaît un mouvement d’ensemble, mené par des chefs inconnus, marchant vers un but mystérieux, et menaçant le trône lui-même. Bon nombre des contemporains eurent alors l’instinct du danger et sentirent passer le frisson avant-coureur des catastrophes. « Il faut convenir, dit le nouvelliste Métra, que, dans aucune des émeutes populaires que j’ai vues, les séditieux n’ont été si hardis ni si méchans. Ils ont affiché des placards et tenu des discours infâmes contre les têtes les plus respectables. » Le duc de Croy s’épouvante à voir le spectacle nouveau du peuple se dressant contre l’autorité royale et essayant, selon son expression, « d’intervenir par la violence dans les affaires d’Etat. » Hardy, de son côté, nous fait connaître les propos de la bourgeoisie parisienne : « On ne croyait pas que, depuis l’existence de la monarchie française, on eût encore vu un événement tel que celui-ci, dont on avait le malheur d’être le témoin... Les âmes pieuses adressaient à Dieu de ferventes prières et le conjuraient de venir au secours de la monarchie, et d’étendre sur elle son bras tout-puissant, qui protège les empires. » Le bailli de Mirabeau écrit, à la même date, ces lignes qui, relues de nos jours, après plus d’un siècle écoulé, sont étrangement impressionnantes : « Rien ne m’étonne, si ce n’est l’atrocité et la sottise de ceux qui osent apprendre à la populace le secret de sa force. Je ne sais où on prend la confiance qu’on arrêtera la fermentation des têtes, mais, si je ne me trompe, de pareilles émeutes ont toujours précédé les révolutions. »

Du moins, dans cette tourmente, est-il juste de rendre hommage au sang-froid de Turgot comme à la fermeté du Roi. C’est à leurs efforts combinés, aux sages mesures qu’ils prirent dans un parfait ensemble, qu’on dut de voir si promptement rétablis la paix publique et l’ordre dans la rue. Ils désirèrent faire plus encore ; ils eurent à cœur de dédommager de leurs pertes les