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incrimine le prince de Conti. Ce cousin de Louis XVI était, depuis de longues années, l’âme de toutes les oppositions contre l’autorité royale. C’était un homme hardi, haineux et sans scrupule. « Il est d’une ambition extrême et ose beaucoup , mandait Marie-Thérèse à Mercy-Argenteau. — Il est le seul parmi les princes du sang qui puisse jouer un rôle dans ce pays-ci, lui répondait l’ambassadeur, mais son humeur trop entreprenante exige qu’il soit contenu dans de certaines bornes. » Conti était violemment hostile au parti des économistes, et tout spécialement à Turgot. En outre, il était compromis dans les spéculations que l’édit récent sur les grains, « en coupant la racine aux tripotages » fructueux et malhonnêtes, avait eu pour objet et pour conséquence d’arrêter. Enfin, le signal des désordres était parti du pays de Pontoise, de ce bourg même de l’Isle-Adam où se trouvait la résidence du prince. Ces raisons donnèrent à penser qu’il n’était pas étranger à l’affaire, qu’il avait pu fournir l’argent, le plan et l’état-major de l’émeute. Turgot en fut intimement persuadé, et ce passage d’une lettre de Louis XVI paraît démontrer que le Roi n’était pas éloigné de partager cette conviction : « C’est une chose bien épouvantable, écrivit-il à son ministre[1], que les soupçons que nous avions déjà, et le parti est bien embarrassant à prendre. Mais, malheureusement, ce ne sont pas les seuls qui en ont dit autant. J’espère pour mon nom que ce n’est que des calomniateurs. » Le prince Xavier de Saxe, toujours si exactement informé, fait aussi une claire allusion à ce rôle criminel d’un grand personnage de l’État : « Il paraît certain que les émeutes ont été occasionnées, non par la misère et la disette, puisqu’on a déjà vu le pain beaucoup plus cher qu’aujourd’hui sans aucun murmure, mais par la fermentation de quelques esprits, qui tramaient sourdement une révolution générale, et dont on soupçonne des personnes de la plus haute distinction d’être les principaux agens[2]. » Quoi qu’il en soit, on n’eut que des indices, et la destruction ultérieure, opérée par le Roi, des principales pièces de la procédure[3] ne permet pas d’asseoir un jugement sans appel.

Ce que l’on ne peut mettre en doute, c’est l’exceptionnelle

  1. Lettre du 6 mai, loc. cit.
  2. Lettre du 31 mai 1775, écrite à l’encre blanche. — Archives de l’Aube.
  3. « Le Roi, dit Soulavie, brûla lui-même les notes et les papiers qu’il avait sur cette affaire. »