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VI

Il semble que Louis XVI lui-même ait jusqu’à un certain point partagé ce sentiment. « Si vous pouvez épargner les gens qui n’ont été qu’entraînés, vous ferez fort bien, écrivit-il, le jour de la pendaison, à Turgot[1]. M. de la Vrillière m’a appris les deux exécutions qu’il y avait eu ce soir ; je désirerais bien qu’on pût découvrir les chefs. » Ces chefs, quels étaient-ils ? C’est un problème qui agita vainement les contemporains de ce drame, et qui n’est point encore éclairci de nos jours. Hardy, dans son bon sens bourgeois, résume assez exactement les hypothèses permises : « On se croyait fondé à penser, dit-il, que ces soulèvemens avaient pour moteurs des gens de trois différentes classes 1° ceux qui pouvaient avoir faim ; 2° les bandits et scélérats qui cherchaient à piller ; 3° ceux qui se trouvaient intéressés à profiter des conjonctures pour causer du trouble. » Et il exprime le vœu que ces derniers surtout soient découverts et « châtiés avec grande rigueur. » Tout dénote en effet l’existence d’un complot : l’absence de tout grief sérieux, — car la cherté du pain n’allait pas jusqu’à la disette, — l’explosion du mouvement sur tant de points différens à la fois, la discipline et la tactique des bandes, la destruction des subsistances par des gens qui, comme dit Voltaire, « pour avoir de quoi manger, jetaient à la rivière tout ce qu’ils trouvaient de blé et de farine, » l’or enfin trouvé dans les poches de ces prétendus affamés. Mais, si le forfait est patent, il plane un doute sur les premiers coupables. On se livra, sur le moment, à des suppositions multiples, et quelquefois extravagantes. On accusa, — chacun suivant ses antipathies personnelles, — Sartine, l’abbé Terray, Madame Adélaïde, les fermiers généraux, les Anglais, les Jésuites, tous ceux qu’on connaissait pour opposés à la politique de Turgot. De nos jours, on a dénoncé une tentative de la franc-maçonnerie, et comme un coup d’essai pour servir de préface à la Révolution française. Aucune de ces suppositions n’est d’ailleurs appuyée par des preuves convaincantes.

Une opinion plus répandue, et à mon avis plus plausible,

  1. Lettre du 11 mai 1773. — Documens publiés par M. Dubois de l’Estang.