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on crut nécessaire de sévir. La juridiction prévôtale, jusqu’alors peu active, reçut des ordres rigoureux pour hâter le jugement des personnes arrêtées. Sur environ deux cents prévenus, une quarantaine furent envoyés dans les cachots de la Bastille, où la plupart restèrent plusieurs mois enfermés. J’en ai la liste sous les yeux[1] ; ce ne sont point, comme on pourrait penser, de pauvres hères, affolés par la faim, ni des malfaiteurs de métier, mais des bourgeois cossus, des gens de moyenne condition et de profession honorable. Il s’y trouve sept curés, un notaire, un avocat, un gentilhomme, un maître de poste, le garde-chasse du fermier général Bouret. Il ne fut prononcé en tout que deux sentences de mort, contre les nommés Jean Desportes et Jean-Charles Lesguille, l’un perruquier, l’autre « ouvrier en gaze, » tous les deux repris de justice, arrêtés en flagrant délit de vol et de pillage. Condamnés le 11 mai, ils furent pendus dans l’après-midi du même jour, avec un déploiement de forces inusité en pareil cas. Au milieu de la place de Grève, furent dressées deux potences, d’une hauteur démesurée, afin qu’on les vît de plus loin. Des troupes à pied et à cheval furent échelonnées sur le passage du funèbre cortège ; une double rangée de soldats, baïonnette au fusil, entouraient l’immense place, les uns « tournés vers l’extérieur, » les autres vers les suppliciés. Ceux-ci firent preuve d’une rare audace, protestant de leur innocence, cherchant à ameuter le peuple et criant « qu’ils mouraient pour lui. » Leurs clameurs persistèrent jusqu’à l’instant suprême, et « sur les degrés de l’échelle. » Cette attitude ne laissa pas de faire effet sur la population. Dès le lendemain, il se trouva des gens pour plaindre les « victimes, » immolées, disait-on, à la tranquillité publique, » tandis qu’une inexplicable indulgence couvrait les « vrais coupables[2]. »

  1. Documens pour servir à l’histoire de la Révolution française, publics par MM. d’Héricault et Gustave Bord.
  2. La bourgeoisie parisienne, d’abord très effrayée, ne tarda pas. une fois le calme rétabli, à fronder le gouvernement et à excuser les rebelles. « On commençait à entendre dire, note Hardy le 18 mai, qu’on avait donné trop d’importance à l’affaire des troubles, que fort mal à propos le sieur Turgot avait engagé le Roi à une dépense de 15 millions, en demandant trente-cinq à quarante mille hommes, qu’on avait distribués aux environs de Paris. On entendait même déjà parler d’une amnistie. « (Journal de Hardy, passim.) Métra, de son côté, rapporte que ces événemens devinrent, peu de semaines après la répression, un sujet de plaisanterie pour « la légèreté française. » Les élégantes, dit-il, imaginèrent pendant quelque temps de porter des bonnets à la révolte. (Chronique secrète de Métra.)